De notre correspondant à Tizi Ouzou Lakhdar Siad Les agriculteurs de la wilaya de Tizi Ouzou comme ceux de toute la Kabylie sont mécontents et ce, suite à l'application «partiale» de la décision du chef de l'Etat d'effacer toutes les dettes des agriculteurs et des éleveurs (41 milliards de dinars, l'équivalent d'environ 410 millions d'euros), contractées auprès des banques et d'autres organismes en plus de mettre un point aux poursuites judiciaires contre le fellahs. Des agriculteurs de Tizi Ouzou dénoncent la politique de «deux poids, deux mesures et l'exclusion» dans la traduction de cette décision prise à Biskra en pleine campagne électorale pour la présidentielle. «Monsieur le Président, aidez-nous car, à travers nous, c'est toute l'agriculture de notre pays que vous aiderez». C'est ainsi que s'adressent les agriculteurs au chef de l'Etat dans une correspondance rendue publique récemment. Le collectif des agriculteurs auteur de cette lettre est composé d'universitaires en chômage longtemps après la fin des études, qui ont acquis à crédit en 2002 un matériel agricole dans le cadre du programme de soutien à l'investissement d'appui à l'exploitation agricole du Plan national de développement agricole (PNDA) en partenariat avec la Société algérienne de leasing du mobilier (Salem). «Des imperfections et des insuffisances sont apparues lors du lancement du dispositif de l'ex-Salem. C'est ainsi que nous nous sommes retrouvés, dès le début, confrontés à plusieurs problèmes que nous n'avions pas cessé de signaler», écrivent-ils au chef de l'Etat. Salem a connu, entre- temps, des problèmes qui ont nécessité sa liquidation pure et simple par les pouvoirs publics, apprend-on de même source qui dresse une liste des abus tels que «la non-acquisition de la totalité du matériel prévu et nécessaire pour rentabiliser notre activité, la non-remise inexpliquée des papiers du matériel acquis, la non-élaboration dans les délais raisonnables des échéanciers de remboursement pour éviter l'accumulation des dettes, ajoutant que quelques éléments des kits remis aux bénéficiaires sont soit inadaptés aux spécificités géographiques de la région, soit de mauvaise qualité». Aujourd'hui, souligne le collectif des agriculteurs, et «après plusieurs années d'absence et de silence», les banquiers leur demandent de payer des sommes exorbitantes en guise de prétendus arriérés d'échéances impayées, dont «nous ne sommes aucunement responsables», selon les déclarations des jeunes diplômés. La semaine dernière, un responsable de l'association des agriculteurs de la wilaya de Tizi Ouzou nous a fait part de son étonnement de voir son compte bancaire bloqué pour non-payement d'une mensualité de son échéancier de remboursement de sa dette alors qu'il s'attendait à voir sa dette effacée «comme tous les fellahs concernés d'Algérie». De leur côté, les agriculteurs de la filière lait vivent aussi des problèmes liés à la baisse du prix du lait collecté par les transformateurs «de manière unilatérale». Cela dit, le secteur de l'agriculture en Kabylie peine beaucoup à prendre son élan malgré les potentialités naturelles dont elle dispose. Lors d'un conseil de wilaya consacré au secteur de l'agriculteur, un bilan peu reluisant a été dressé par la majorité des intervenants qui ont mis en cause les politiques et les programmes de développement de l'agriculture. Pour essayer de redonner espoir aux agriculteurs, il a été décidé de doter le secteur d'une enveloppe financière de 1 milliard de dinars pour 2009, à quelques mois de la fin de l'année. Mais la situation des agriculteurs semble être la même ou a empiré, à lire les différentes réactions des représentants de toutes les filières agricoles. Quoi d'étonnant, dirions-nous, quand même Salah Gaïd, président de l'Union des paysans algériens libres, accuse des individus qui n'ont rien à voir avec l'agriculture de bénéficier des aides et des dispositions d'annulation de la dette octroyée par les pouvoirs publics. «N'oublions pas que les dettes des agriculteurs ont été effacées deux fois, bien qu'il y ait de faux fellahs qui en profitent. Mais en retour, on ne voit pas de résultats concrets. L'Etat subventionne sans rentabiliser le secteur […]. Il faut absolument un dialogue national autour de l'agriculture. C'est urgent ! C'est une lourde facture. On importe ce que nous mangeons, c'est une honte !» a-t-il déclaré à un confrère il y a quelque temps. Le responsable syndical a parlé de «barons, de gens très influents, qui outrepassent la loi et bénéficient de crédits bancaires en violant la réglementation. Je ne sais pas pourquoi les banques accordent des crédits à ces gens-là et crient ensuite au voleur ! L'Etat est incapable de faire face à ces barons. Ces derniers profitent de l'absence de régulation pour imposer les prix des produits. Certains d'entre eux ont, notamment, profité du crédit Rfig lancé par la Banque de l'agriculture et du développement rural destiné au financement du secteur agricole et des activités annexes. Ce sont des gens qui connaissent très bien les réseaux, qui sont capables d'acheter des marchandises au large du port. Lorsqu'ils quittent, pour certains d'eux, un poste exécutif, ils s'arrangent pour rebondir et occuper un poste politique ou autre. Parfois, le discours politique officiel évoque ces barons puissants, mais dans la réalité, c'est un autre discours. Personne ne peut les atteindre. Mais il faut leur déclarer la guerre», a-t-il révélé. Depuis, aucune suite à ces graves déclarations. Et les fellahs de Tizi Ouzou savent mieux que quiconque peut-être l'étendue réelle de cette situation chaotique de leur secteur.