Photo : Riad Par Karima Mokrani Depuis le temps que les citoyens, à Alger, dénoncent la mauvaise organisation du transport en commun et, avec eux, les transporteurs eux-mêmes (les chauffeurs de bus, de taxis urbains…) qui demandent à ce que l'Etat les soutiennent aux plans financier et organisationnel, rien de tangible n'est constaté sur le terrain pour améliorer les choses. La même situation de désarroi perdure… et les grandes chaleurs ne sont pas pour arranger les choses. Ni confort ni sécurité C'est l'anarchie totale. D'aucun parmi les usagers ne peuvent dire le contraire. Les stations de bus et de taxis offrent une image désolante au quotidien : surcharge et vétusté des véhicules, bousculades pour arracher une place confortable et sécurisée, manque d'hygiène et d'entretien… sans compter les bagarres, les vols, les insultes et autres comportements qui renseignent sur la disparition des valeurs morales dans la société algérienne. Les usagers du transport en commun souffrent le martyre pour arriver à la destination de leur choix. Leur souffrance est d'autant plus grande que, pendant ces longues journées d'été, des embouteillages interminables s'ajoutent à une longue attente sous un soleil de plomb. Tout cela sans aucun moyen de protection contre les rayons solaires, considérés comme un véritable danger pour les yeux et la peau. Et pour cause ! Les stations de bus et de taxis ont, pour la plupart, disparu à Alger. Les voyageurs se regroupent sur des trottoirs qui laissent à désirer, aux arrêts de fortune où dominent les ordures et les gravats… et où il n'y a ni bancs ni Abribus, ni panneau d'indication… Et ne parlez surtout pas de toilettes publiques ! Malgré toutes ces contraintes, les citoyens reviennent dans les mêmes endroits et prennent les mêmes bus ou les mêmes taxis. Ils se soumettent à la pénible réalité. Ont-ils vraiment le choix ? «L'essentiel est de trouver un moyen de déplacement», affirme une mère, pressée par ses deux enfants de partir à la plage. Cette dame et ses deux enfants estiment que «c'est déjà quelque chose» que les autorités pensent à organiser ce qui est communément appelé «plan bleu». Un plan qui consiste à renforcer les lignes à destination des plages. En effet, comme nous avons pu le constater, cette initiative de l'Union nationale algérienne des transporteurs (UNAT), approuvée par les services de la direction des transports de la wilaya d'Alger, semble être accueillie avec une grande satisfaction par les usagers à Alger. Les estivants partent en groupe ou en famille, pour se rafraîchir et bronzer à la plage, sans dépenser beaucoup d'argent. «Nous payons juste les tickets de bus», affirment des enfants, munis de leurs sacs à dos et se dirigeant vers la plage de Bordj El Kiffan (Fort de l'eau), fréquentée par de nombreuses familles d'Alger et d'ailleurs. Chauffeurs de taxi : les clandestins, maîtres des lieux L'initiative est bonne mais des points noirs persistent. Les bus n'offrent pas le confort et la sécurité souhaités. Les embouteillages compliquent davantage la situation, surtout lorsque des vendeurs à la sauvette viennent accaparer des tronçons de la route, comme c'est le cas dans la localité de Boumaati (El Harrach) et la place des Martyrs. Le passage du bus ou du taxi relève de l'exploit dans ces endroits où la présence policière est indispensable. «C'est voulu», s'écrie un citoyen. «L'Etat est totalement absent», dit un autre. «L'Etat est complice», accuse un troisième. Les mêmes phrases et les mêmes accusations reviennent sur les lèvres des uns et des autres. «Les policiers ne font pas leur travail. Personne ne contrôle, personne ne sanctionne…» s'indignent d'autres. «Où avez-vous vu un policier travailler comme chauffeur de taxi clandestin ? Il est policier la journée et chauffeur de taxi clandestin la nuit. Il n'y en a pas qu'un seul !» lâchent des chauffeurs de taxi qui ne retrouvent plus leur place d'antan. Et ces derniers de s'interroger : «Ils disent que la profession se clochardise. Bien sûr qu'elle se clochardise ! Mais qui en est à l'origine ? Ce sont les services de l'Etat qui l'ont clochardisée […].» Des hommes et des femmes se plaignent au quotidien du manque de taxis : «Ce sont eux qui t'imposent la destination. Ils préfèrent repartir vides plutôt que de prendre des citoyens qui sont pourtant pressés d'aller dans tel ou tel endroit. Et on prétend que le client est roi !» s'indignent deux hommes, fonctionnaires de leur état. «Ils travaillent tôt le matin puis ils rentrent chez eux», s'étonne une femme qui a eu du mal (à 10h du matin) à trouver un taxi assurant la liaison Bir Mourad Raïs-place du 1er Mai. Pourtant, les taxis ne manquent pas à Alger. Ils sont même en surplus. Près de 14 000 entre les collectifs et ceux au compteur, selon M. Aziouaz Boukarou, vice-président de l'Union nationale algérienne des chauffeurs de taxi (UNACT). C'est pratiquement le double des besoins de la population. Le nombre des clandestins avoisine les 6 000 dont 150 opèrent dans l'aéroport et près d'une centaine dans la gare routière du Caroubier. Les clandestins opèrent en toute quiétude, imposant leur loi au su et au vu de tout le monde. «Nous les avons dénoncés maintes fois. Nous les avons même recensés, nous avons identifié les marques des véhicules et les couleurs… et remis toute une liste aux autorités concernées en leur demandant de prendre les mesures nécessaires pour remédier à la situation. Nos appels restent sans suite», racontent des chauffeurs de taxi, non sans exprimer leur crainte de perdre leur gagne-pain. «Nous travaillons dans des conditions difficiles», confient-ils. Et M. Boukarou d'expliquer ce manque de taxis au moment où les citoyens en ont besoin : «Le problème ne réside pas dans le nombre des taxis. Bien au contraire, nous en avons plus qu'il n'en faut.» Selon M. Boukarou, entre autres problèmes à l'origine de cette situation, «il n'y a pas de stations où s'arrêter et le stationnement sur la voie publique est interdit. Les taxis passent leur temps à tourner en rond au moment où les clients les cherchent et vice versa». La réhabilitation des stations de taxi s'avère donc indispensable pour assurer une meilleure organisation de cette profession. Il est aussi nécessaire de trouver une solution définitive à ce problème des clandestins qui n'honore pas la profession et ne sert ni le citoyen ni l'Etat. Transporteurs de bus privés : endettement, pénalités… Côté bus, et contrairement à ceux qui assurent le transport interwilayas, ceux qui font le transport urbain et suburbain tardent à changer leur situation. La plupart de ces bus sont dans un état de vétusté avancé, ne répondant aucunement aux normes de confort et de sécurité exigées dans le monde. «C'est tout à fait normal que ces bus restent dans cet état. Leurs propriétaires n'ont pas les moyens de les entretenir, encore moins d'en acquérir de nouveaux. Et les tarifs appliqués ne permettent aucune amélioration», répliquent des chauffeurs de bus qui desservent l'est d'Alger. M. Mohand Aider, le président de l'Union nationale algérienne des transporteurs (UNAT), estime, lui aussi, que ces tarifs ne sont pas adaptés à la réalité : «Sur un ticket de 25 DA, le transporteur perd 5 DA dans le paiement du droit de timbre, 17% dans la TVA et 2% dans la TAP. A peine s'il lui reste donc 60%.» Faudrait-il alors augmenter les tarifs ? Une augmentation qui ne sera pas sans susciter le mécontentement des usagers. «Il y a d'autres moyens de faire face sans augmenter les tarifs. Nous demandons un allégement fiscal ou une subvention de l'Etat.» Selon M. Aider, la majorité de ces transporteurs privés vivent dans une situation difficile : «Beaucoup n'arrivent pas à payer leurs crédits bancaires et leurs cotisations à la CASNOS.» M. Aider insiste particulièrement sur le cas des transporteurs ayant acquis leur bus dans le cadre de l'ANSEJ : «Ces gens ont un avenir social sombre.» M. Aider estime que le secteur des transports connaît actuellement une crise latente. Le président de l'UNAT estime qu'il est urgent de lancer des enquêtes de ménage, de définir les périmètres urbains et de délimiter les zones de circulation pour assurer une véritable organisation de tous les moyens de transport, à travers tout le pays.