Photo : S. Zoheir Par Ali Boukhlef Telle une révolution qui dévore ses enfants, le métier de journaliste tue ceux qui le font. C'est à ce constat, parfois beaucoup plus douloureux, que sont parvenus les professionnels de la presse, rassemblés, hier dans la matinée, à la maison de la presse Tahar Djaout. Ils se sont réunis à l'appel de la Fédération nationale des journalistes algériens, d'abord pour rendre hommage aux «martyrs de la profession», dont le dernier porte le nom de Chawki Madani, mais ensuite pour dénoncer des conditions de travail de plus en plus dures et insupportables.Rien que pour l'année 2009, en effet, pas moins de neuf confrères ont perdu la vie. Ils sont morts, pour diverses raisons certes, mais dans l'adversité et surtout dans le dénuement. C'est le cas de Chawki Madani, décédé alors qu'il occupait, depuis plus d'une décennie, une chambre minuscule dans un hôtel de Sidi Fredj, sur la côte Ouest d'Alger. Cette structure abrite des dizaines de journalistes, souvent avec femmes et enfants. Ils s'y rendent à cause de leur incapacité à faire face aux conditions de vie difficiles, mais surtout à cause d'un marché de l'immobilier de plus en plus inaccessible aux salariés. A ce constat il faut ajouter un autre -et il relève du pouvoir politique- celui de la pénalisation du délit de presse. En effet, une disposition du code pénal condamne à la prison les auteurs d'écrits qualifiés de «diffamatoires», un concept qui n'est jamais défini. En termes plus clairs, un journaliste peut se retrouver derrière les barreaux seulement parce qu'il a exprimé une opinion politique ou autre. A cela, il faut ajouter que les conditions d'accès à la profession ne sont toujours pas définies, puisque l'octroi de la carte professionnelle est du ressort exclusif des patrons de presse alors que la corporation doit être associée par le biais d'une commission mixte. La disposition est définie dans le décret exécutif publié le 10 mai 2008 portant statut des travailleurs de la presse. Ces revendications, ajoutées à celles d'un salaire décent et d'une déclaration à la sécurité sociale -au moins 83 journalistes travaillent au noir, selon le décompte fait par la FNJA- ont donc été exprimées par le Fédération nationale des journalistes algériens affiliée à l'UGTA au cours du rassemblement d'hier qui a regroupé des dizaines de journalistes. Mieux, le secrétaire général du syndicat, Abdenour Boukhamkham, a lancé un appel à l'autre syndicat du secteur, le syndicat national des journalistes (SNJ) pour faire front commun en vue d'améliorer les conditions socioprofessionnelles des journalistes. Faire front d'abord en face des patrons de presse et des pouvoirs publics. Parce que les premiers ne respectent souvent pas la réglementation et les seconds n'imposent pas loi ou mettent des barrières devant les journalistes dans l'exercice de leur profession.Il y a quelques mois, une commission dénommée «commission pour le relogement des journalistes» a été créée pour faire bénéficier ces derniers du programme de logement social participatif (LSP). Après des mois de démarches auprès des autorités concernées et d'accords successifs, le dossier des 500 journalistes recensés dort apparemment dans les tiroirs des services de la wilaya d'Alger. Pendant ce temps, des dizaines de professionnels galèrent pour trouver un toit décent. Ironie de sort, les journalistes sont appelés souvent à rapporter les cris de détresse d'autres citoyens, alors que les leurs ne sont entendus nulle part.