Photo : Sahel Par Amirouche Yazid Les espaces verts perdent du terrain dans les quatre coins du pays. Les textes adoptés par les législateurs et les enveloppes financières débloquées par les autorités n'ont pas changé le décor de ces sites censés offrir détente et plaisir aux Algériens. Les espaces verts et les jardins de nos villes subissent l'inexorable empreinte du temps et l'incurie des hommes. Nos espaces verts renvoient une triste image et un sombre décor. Des amoncellements d'ordures incitent le promeneur à sortir au plus vite de nos jardins publics dont rien -ni les arbres qui dépérissent ni le gazon inexistant- ne laissent penser que ce lieu avait connu des jours heureux. Les responsables ne se lassent pas d'annoncer diverses opérations qui devaient toucher les espaces verts. De la réhabilitation au recensement en passant par la classification, il ne faudrait retenir manifestement que l'intention. Pas plus. Les architectes et autres spécialistes du domaine recommandent, pourtant, une valorisation de ces lieux. «Les jardins sont l'ultime solution pour contrer le béton et donner une meilleure qualité du cadre de vie à nos villes et à nos villages», disent-ils. La réalité se présente autrement : les responsables ne pensent pas à faire accompagner les grands projets par des espaces verts de bonne qualité et adaptés au projet. Les budgets ne semblent pas contribuer à l'amélioration du cadre de vie. Des wilayas ont bénéficié d'une moyenne de 300 millions de centimes pour la réfection et la réhabilitation des sites. Le projet consiste en le traitement des boulevards en plantations d'alignement et autres espaces verts et de quelques zones de la périphérie. Des entreprises ont été dès lors choisies pour la réalisation des travaux. C'est une lapalissade de dire que beaucoup d'argent a été dilapidé dans des projets de réfections de tel ou tel jardin. Les choses n'ont pas avancé d'un iota. Les Algérois gardent en mémoire ce qui était le jardin Tunis pendant plus d'une décennie d'abandon. Les travaux de réaménagement ont tellement perduré que les Algérois ont perdu espoir de voir le site rouvrir ses portes. L'attente fut très longue pour des travaux du jardin d'un qui s'étend sur une superficie de quelque 5 000 m2. Le volume des travaux n'a rien de ceux d'Hercule. Il était question de l'installation d'un espace d'attractions pour enfants et de la réalisation d'un bassin. Les travaux de réaménagement du jardin concernent l'aspect architectural, l'éclairage public, la clôture extérieure ainsi que les jeux pour les enfants. «Les travaux de réaménagement ont coûté 60 millions de DA», souligne un responsable de l'Assemblée populaire communale d'El Biar. C'est dire que les autorités ne lésinent pas sur les moyens financiers. Ce qui fait défaut, néanmoins, c'est plutôt le suivi des réalisations. Les habitants des alentours ne peuvent que s'en réjouir de la nouvelle de réouverture du jardin. Concernant la gestion du lieu, les responsables de la commune ont réservé une maisonnette pour les agents de sécurité qui devront assurer la garde. Quelques mois après sa remise en service, le jardin est maintenu propre. Un acquis qui repose sur le fait que le nombre de visiteurs est insignifiant, notamment avec la réhabilitation du Jardin d'essais du Hamma. Les responsables locaux que nous avons approchés soutiennent que «la conception des travaux de réaménagement de cet espace vert a accordé un intérêt particulier à la dimension urbanistique qui s'harmonise avec le paysage de la région. Pour les soirées familiales, le nouveau design du jardin Tunis prévoit aussi un petit théâtre. Le réaménagement de ce jardin s'est avéré nécessaire en raison du site stratégique qu'il occupe à Alger». Au registre de la réglementation, les espaces verts perdent davantage de terrain. Même l'injection de nouvelles lois n'y a rien apporté. La révision d'une législature ne change pas la chose quand les prérogatives ne sont pas assumées. Il y a deux ans que l'Assemblée populaire nationale a adopté un projet de loi relatif à la gestion, à la protection et au développement des espaces verts. Quelques jours plus tard, le premier responsable du secteur, à savoir le ministre de l'Environnement saisit l'aubaine pour expliquer la portée du texte. Le ministre n'a pas trouvé mieux que de recourir à la démographie pour informer les Algériens qu'ils seront 14 millions d'habitants dans les villes d'ici 2025. «C'est pourquoi il est important de penser à un meilleur développement pour nos villes qui connaissent un élargissement dans la construction. Il est à la fois question de sensibiliser le citoyen et les pouvoirs publics de la nécessité de préserver les espaces verts», releva t-il. Théoriquement, la loi vise, selon son concepteur, la définition des règles de gestion, de protection et de développement des espaces verts. Objectif optimal avancé : l'amélioration du cadre de vie urbain, l'entretien, l'amélioration et le développement de la qualité des espaces verts. «Ce projet de loi de 42 articles catégorise les espaces verts, identifie les obligations de leur classement et les autorités de gestion et fixe les descriptions de préservation. Il prend également en charge la gestion et le développement des espaces verts en Algérie et institue des normes et des coefficients d'espaces verts par villes, par ensemble urbain et pour les habitations particulières.» Le point de départ a commencé suite à une évaluation attestant le retard qu'accuse l'Algérie en la matière. Au moment où les normes situent la part de chaque citoyen à 10 m2 allant jusqu'à 1 hectare dans certains pays, le citoyen algérien n'a droit qu'à 1m2. Un état des lieux qui poussera le ministre de l'Aménagement du territoire et de l'Environnement à pointer du doigt les constructeurs publics privés qui ne prennent pas en considération le besoin des espaces verts. Le ministre avait soutenu qu'il est plus qu'urgent que ces promoteurs intègrent dans leurs projets de construction la promotion et l'élargissement des espaces verts. Dans les faits, les directions de l'environnement se plaignent de leur incapacité à maîtriser l'entretien des jardins publics et autres espaces verts. Hormis des opérations d'élagage ou de taille d'arbres, la dégradation est chaque jour davantage visible dans les espaces verts de la ville. Ils sont nombreux à connaître cette situation de délabrement, comme celui appelé jardin Sophia, au cœur de la capitale. Dans ce jardin, le décor est désolant. Il est désormais identifié plus par le fait qu'il est devenu un refuge pour les délinquants et autres dealers qu'un lieu de rencontre et de détente. Au vu et su de tout le monde -un barrage de la police est quasiment permanent à quelques mètres-, ils s'adonnent en toute impunité à des pratiques que la loi réprouve. Une fois de plus l'impuissance des directions de l'environnement est certifiée, on songe au rôle du mouvement associatif. Pour Samir. M., un ancien animateur au sein de l'association nationale Touiza, «la situation catastrophique de l'environnement en Algérie ne peut être améliorée à travers des actions éparpillées. Le remède passe par un véritable plan que devait engager le gouvernement». Une courte virée dans l'un des jardins de la ville d'Alger débouchera inéluctablement sur de surprenantes découvertes où il ne reste de l'espace vert que le nom. Les signaux indiquent plutôt le rouge. Mais le grand péril réside incontestablement dans le rétrécissement des espaces verts et autres terrains vagues dans la capitale, qui a enregistré la disparition d'environ 860 ha en l'espace de 30 ans, selon une source très au fait de la question. Les chiffres de la wilaya d'Alger indiquent que la capitale comptait, en 1977, 900 ha. Aujourd'hui, elle n'en compte que 40. Le chiffre est déroutant dès qu'on se rappelle que la wilaya d'Alger s'est élargie avec l'annexion de certaines communes à l'époque du gouvernorat, en 1997. Certains élus locaux estiment que «la réduction alarmante des espaces verts est essentiellement liée au développement sauvage de l'urbanisme au niveau de différentes communes de la capitale». D'autres mettent en avant «l'absence de contrôle durant notamment les années 1990, ce qui a ouvert la voie à toutes sortes d'agressions sur les espaces verts ainsi que les surfaces agricoles». Pour l'heure, les familles algéroises se réjouissent de la réouverture du Jardin d'essais d'El Hamma qui ne désemplit pas à longueur de semaine.