Photo : S. Zoheir Par Smaïl Boughazi la communauté algérienne établie à l'étranger est perçue comme une arme à double tranchant. Primo, elle est vue comme un gisement inépuisable en expérience et, secundo, elle est considérée comme une source de devises pour le Trésor public. Outre l'expérience et le savoir que recèlent nos milliers d'expatriés, le volet finances accapare, à lui seul, une part non négligeable du débat engagé depuis quelques années en Algérie. À la faveur d'une rencontre organisée sur cette question -un colloque sur la communauté algérienne établie à l'étranger-, le sujet ayant trait à l'apport financier des migrants algériens a refait surface. Cette communauté, selon des statistiques, envoyait, pendant les années 70, des sommes importantes. Elles s'élevaient à 100 milliards de francs français. Certes, beaucoup de données ont changé depuis, cependant, cette communauté a vu son nombre tripler en l'espace de quelques décennies. Ce qui devait, en principe, augmenter la somme. Toutefois, et comparativement à d'autres pays, les migrants algériens ne rapatrient pas les sommes réellement générées. Les chiffres : les Algériens résidant en France, à titre d'exemple, ont transféré de 2001 à 2004 des sommes variant entre 282 et 287 millions d'euros annuellement, selon une estimation de la Banque européenne d'investissement (BEI). Les spécialistes, eux, parlent de sommes beaucoup plus importantes transférées ces dernières années par le biais de circuits informels, un moyen privilégié pour plusieurs raisons. L'argent transféré en Algérie n'est pas le seul fait des émigrants La rencontre organisée récemment à Alger a mis en relief l'augmentation sensible des sommes transférées et la courbe de plus en plus ascendante. Les données fournies par la Banque mondiale (2007) confirment cette hausse. Ainsi, la période 1976-1986 a connu des transferts faibles et stables, puis, entre 1987 et 2000, il y a eu une légère hausse, et, depuis 2001, la Banque mondiale a enregistré une hausse accélérée. Ce qui explique en partie l'augmentation du nombre de migrants –1,3 million d'Algériens uniquement en France- mais aussi l'amélioration de la situation de la communauté ces dernières années. En somme, on parle de quelque 2,8 milliards de dollars transférés chaque année par notre communauté. Un chiffre à vérifier selon certains experts, puisque le circuit informel demeure la plaque tournante de ces sommes. Un rapport financé par Middle East Research Competition (MERC), plus perspicace, a dévoilé que l'argent transféré en Algérie n'est pas le seul fait des émigrants, il provient également des voyageurs. Le rapport souligne que «l'argent transféré est destiné principalement par les ménages à la consommation quotidienne, à l'achat d'autres biens d'équipements et à la scolarité des enfants. Et très peu est destiné à l'achat d'une maison, d'un terrain, ou à l'investissement et à l'ouverture de compte d'épargne en Algérie». L'informel qui s'est installé dans la durée revient souvent dans les bouches. Pour M. Saïb Musette, sociologue et expert dans le phénomène migratoire, l'informel pourrait être appréhendé par la mise en place d'agences de banques algériennes à l'étranger afin de connaître toutes les données relatives aux sommes transférées de l'étranger et de les absorber. L'expert, qui a dépeint un constat révélateur du phénomène lors de la rencontre organisée à Alger au début de juin dernier, explique que «le canal informel reste la voie privilégiée des migrants algériens avant le retour, avec plus de 75% par des amis et 35% lors de la visite familiale». L'expert évoque aussi les mécanismes pouvant mettre en réseau les diverses administrations chargées actuellement de la gestion de ce phénomène. Pour matérialiser son idée, M. Musette a proposé la création d'un observatoire algérien de la migration internationale. «Sa création n'est pas un luxe, tant ce phénomène est d'une forte sensibilité et nous oblige à répondre de nos actes envers l'étranger», dit-il. Le phénomène a été aussi analysé et décortiqué de près à travers des études et des enquêtes réalisées en Europe. Ainsi, une enquête réalisée en France par le cabinet HEC Junior Conseil a dévoilé que l'investissement est un moyen qui lie la communauté au pays d'origine, effectué à travers des transferts d'argent pour 22% des interrogés. Si 40% des répondants sont déjà propriétaires de biens immobiliers dans leur pays d'origine, affirme l'enquête, 32% ont l'intention d'en acquérir. Les conclusions de ce travail confortent l'idée selon laquelle le transfert d'argent et d'immobilier constitue toujours la principale forme d'investissement. Des zones d'ombre à éclairer Dans ce cadre, en France, une idée de «bancarisation» vient de surgir afin de donner une chance aux émigrés de transférer leurs épargnes vers leur pays d'origine. Cette formule «utile» est proposée par le groupe des Caisses d'épargne françaises. Les émigrés autorisés à exercer en France devraient bénéficier d'un «compte d'épargne co-développement [CEC]» destiné à financer des projets dans leur pays d'origine, selon un responsable français des Caisses d'épargne. Il a précisé que «le futur CEC ouvre droit à une exonération fiscale de 25% des sommes épargnées dans la limite de 20 000 euros». Cette mesure profitera à toute épargne destinée à «un investissement dans un projet de développement dans le pays d'origine de son titulaire». Dans le même ordre d'idées, lors d'un colloque organisé par le ministère français de l'Economie, un expert a relevé que «75% de ces flux sont consommés localement dans l'alimentation et la santé, au détriment du financement d'activités génératrices de revenus». Dans ce sillage, M. Musette soutient cette idée. Dans une contribution, analysant ce phénomène sociologique, il note que, «jusqu'ici, les transferts sont perçus strictement dans leur valeur monétaire. La face cachée, immatérielle, parce que non mesurable, est une réalité sociale qui demeure dans l'ombre. Puis, nous prenons la précaution élémentaire de lever le voile sur les concepts de base. Cet examen de la migration internationale et des transferts démontre in fine que ces phénomènes comportent des zones d'ombre, largement admises par tous les analystes. Outre ce “consensus” à la marge, l'étude des composantes indique des divergences profondes dans les contenus. L'établissement des “ratios” entre transferts et les indicateurs macroéconomiques devient suspect. Ces ratios souffrent d'imprécisions fondamentales qui réduisent la portée des conclusions». Ce qui incite, on ne peut plus, à faire la lumière sur ces zones d'ombre qui handicapent réellement la connaissance des flux migratoire et de leur apport. Plus loin, il explique que «les deux faces des transferts obéissent quasiment aux mêmes règles tant dans ses formes [entrée/sortie] que dans ses modes de transmission [formel/informel] ainsi que ses effets sur le développement, au sens large du terme, du pays d'origine comme du pays d'accueil. Ces transferts ne proviennent pas seulement des migrants “salariés” mais aussi des étudiants et des indépendants, comme des employeurs et des non-migrants».