Après Casse-tête turc, Adlene Meddi subsiste dans les sillons du polar, un genre orphelin de la littérature algérienne. Fort difficile à classer, la prière du maure n'est pas tout à fait un polar en raison du goût de l'inachevé que laisse sa lecture, et même la fragilité de sa structure n'obéit parfaitement pas aux «techniques» de ce genre longtemps boudé par la critique. Il s'agit bien, faut-il le signaler, d'un terrain méconnu dans le paysage littéraire algérien, de surcroît inédit par son enquête. Sur fond de tragédie ayant traversé le pays, la société, la ville, dira le narrateur, se dévoilent dans la fumée des embuscades, les charniers de loups. Une ville nommée Alger, à «la bâtardise architecturale dénivelée jusqu'à l'éternel écroulement dans la baie», offre un lugubre spectacle où les seules échappées sont les flopées de bouteilles et les morceaux de kif. Dans les bars, les cabarets de cette ville puante à ne plus respirer le large, le brouillard frappe à mort la visibilité et la cécité du trône inocule jusqu'à l'aberration. Des prostituées et des journalistes suicidaires se retrouvent dans le désespoir et la détresse d'une ville jetée dans la gueule des chiens. Des carnages, d'horribles souvenirs. Des hommes tout simplement se font massacrer. Le corps du livre est une succession de tableaux sur lesquels l'univers ténébreux des services se dessine. Il vient ainsi tenter de soulever les ambiguïtés d'une époque glacée par le flou et gavée de mensonges. En s'immisçant dans le dur engrenage du «système» et en fouillant dans le haut commandement, les territoires du «système» se délimitent dans une zone où le sang signale les bornes et la nature même de ce monde. Les rouages du DRS, «Département de recherche et de sécurité», colonne vertébrale du «système», sont scrutés et l'un des personnages n'est que STRUCTURE, un haut commandant dont l'unique fille est assassinée ; où luttes et fractions des clans s'égrènent. Crimes, sang, flou et enjeux viennent en écho de la triste réalité. La disparition d'un jeune dans la banlieue algéroise pousse Djo à enquêter. Pourtant retiré du milieu, cet inspecteur de police retrouve de nouveau les coulisses de la police et engage une enquête, qui sera vouée à l'échec. Impossible. Celle-ci dévoilera la nature du même régime qui fait la loi et le roi. Averti par son frère en lui signifiant que «ah si ! Tu ne vas pas t'en tirer comme ça. Tu es foutu si tu restes ici, à Alger, à jouer les détectives à la con. Tu le sais bien. Nous sommes le chaos et nous sommes l'ordre. Pas de place pour les aléas de ton espèce». Irrévérencieux par cette rébellion de style qui s'y épand, des vérités sautent, comme par exemple ce passage : «on a vaincu les barbus, mais on n'a rien réglé entre nous. Entre eux. Les puissants pères illégitimes de la nation, comme on les appelle et dont toi et moi sommes les brillants rejetons.» Chroniques d'un pays mis à feu et à sang, dont le pyromane et l'assassin font le pompier et l'ange gardien. La description occupe une place prépondérante dans ce texte, ainsi, Alger est passé au scalpel du narrateur, chaque bout de la ville est minutieusement décrit ; les rues, les arcades, les bars, etc. sont fouillés. Toute la ville est mise à poil, le moindre vrombissement de la jet-set est peint. Le narrateur s'attarde assez souvent dans les descriptions. Et même les personnages sont superficiellement décrits. Seules quelques échappées poétiques viennent par-ci par-là adoucir ce lourd nuage qui ne veut pas quitter le ciel d'Alger. On pourra dire aussi que la prière du maure est un roman d'espionnage dans la mesure où il (le polar) présente une variante politique du roman policier. Des points importants révèlent les enjeux qui s'y trament sur le dos du Maghreb. Les passages où il est question de chancelleries étrangères, question de diplomatie entre Israël et la Syrie montrent bien cela. Ce passage, entre autres, traduit bien ces pièges. «C'est la stabilité politique du pays qui m'inquiéterait. Le budget faramineux qui vous est affecté doit bien servir à quelque chose.» Les chancelleries étrangères s'inquiètent de la stabilité de la région, ce qui explicitera les différentes machinations politiques visant à mettre à genoux les pays viscéralement asservis par la meute dirigeante. Cette expérience d'écriture «témoigne» du double échec, celui de l'amour et celui d'enquêter sur ce qui a vraiment meurtri le pays. Il y a comme une impossibilité à vivre l'amour, Aminata et Djo l'illustrent parfaitement. Comme il y a aussi une impossibilité à décanter les faits. Cela se lit dans toute cette littérature «politique» de cette nouvelle génération, Le glissement ou Miroirs de la peur de Hamid Abdelkader en sont un exemple. Peut-être, c'est là aussi l'une des conséquences de la tragique histoire qui a terrassé l'Algérie. Mais, l'amour n'a-t-il pas une part de responsabilité ? c'est une autre histoire et l'Algérie en est une autre. A. L.