Institutionnaliser la culture, c'est en quelque sorte la corrompre et la réduire à «sa plus simple expression». Elle ne peut être qu'une culture à œillères, limitée dans l'espace et dans le temps, une culture qui ne peut rayonner sur le monde et qui ne peut s'affranchir de certains cercles parce que muselée et tenue en laisse pour servir. Elle fera son temps et disparaîtra comme disparaîtront ses commanditaires pour devenir plus tard un vestige rappelant les heures sombres d'une évolution stimulée par la politique de la carotte et du bâton. Dans tous les pays du monde -et les exemples sont légion qu'ils nous viennent du bloc communiste avec ses appendices de l'Europe de l'Est, de la Chine avec sa fameuse révolution culturelle, des dictatures sud-américaines ou arabes- les produits culturels, même si, parfois, ils sont de qualité, ne sont pas reconnus comme étant des œuvres artistiques relevant d'une création mais plutôt comme des hommages rendus à une idéologie révolue et qui n'a plus cours. Autant d'efforts, d'émulations, de réalisations et de temps perdus dans un maelström animé et attisé par une caste qui a soumis la création humaine à son bon vouloir pour la soumettre et l'asservir. Cette tempête «culturicide» qui aura duré près d'un siècle a fait des ravages parmi des cultures millénaires et a effacé jusqu'aux traces de certaines, les bannissant parce que n'entrant pas dans le moule façonné par les éminences grises et les idéologues du prince du moment. Les réflexes d'autocensure, le conditionnement et l'embrigadement de générations entières pendant des années ont opéré un nivellement tel qu'un formatage général des esprits en a résulté. Se relever, reprendre l'aventure de la culture, se remettre à créer et à produire ne seront pas chose aisée, les réflexes et les comportements du passé étant difficiles à réprimer ou à ignorer. Les vieilles générations condamnées à revenir à la case départ, celle d'avant leur assujettissement, auront à réapprendre à vivre avec la liberté retrouvée pour pouvoir exprimer à travers leurs nouvelles œuvres le cheminement d'une pensée affranchie et violant les lignes de démarcation qui avaient jadis stoppé net leurs élans. Les nouvelles générations, qui ont vécu dans leur chair les bouleversements et eu à subir des politiques culturelles tantôt libérales et ouvertes, tantôt restrictives et verrouillées, mettront elles aussi beaucoup de temps avant de pouvoir se libérer et voler de leurs propres ailes. Chez nous, on en est encore à des politiques de tâtonnement, tiraillées entre une volonté de s'intégrer dans un monde libre en perpétuelle évolution et un conservatisme réducteur et recroquevillé sur lui-même. Si bien que, jusqu'à aujourd'hui, l'Algérie n'a pas encore enfanté un nouveau Mouloud Feraoun, un Dib ou un nouveau Tahar Ouettar qui pourraient servir de repères pour les jeunes écrivains ou artistes en herbe. Quelques balbutiements ici et là, quelques compétences éclosent, s'imposent et s'affirment la plupart du temps à l'étranger parce que chez nous, il y en a en haut lieu qui pense encore qu'il faut faire allégeance pour être reconnu. M. R.