De notre correspondant à Constantine Nasser Hannachi Depuis quelques années, l'Algérie vit une véritable révolution culturelle. L'ouverture du pays au marché international aura contribué grandement à la satisfaction de divers goûts et différents besoins en matière des produits culturels. Il faut dire que la manne fort importante consentie par la tutelle, qui est toujours la première source de financement, pour tenter d'équilibrer l'équation offre-demande du microcosme littéraire et artistique, a aussi participé à cette diversification et à cet enrichissement de la production artistique. Quant à l'importation de produits culturels, bon nombre d'Algériens la voient d'un bon œil et estiment qu'il ne doit y avoir aucune frontière à l'universalité de la culture. De nombreux citoyens que nous avons abordés aux alentours du théâtre, de librairies, de la maison de culture et autres institutions culturelles sont unanimes et soutiennent que les pouvoirs publics et autres acteurs du secteur devraient multiplier les démarches pour que la culture soit servie en continu à tous. Cependant, pour maintenir ce flux culturel sans déperdition, il faut faire preuve d'imagination. Il s'agit de connaître et d'évaluer les besoins réels des citoyens. Dans le cas contraire, on va droit au gaspillage de temps, d'énergie et, parfois, de devises, pour des produits dont personne ne veut. Que de fois n'a-t-on assisté à des manifestations «importées» et qui, pourtant, n'ont pas réussi à remplir les salles ? Si certains événements culturels entrant dans le cadre des échanges entre pays, via les services culturels des ambassades, ou se rapportant à des opérations de promotion, ne sollicitent pas les caisses étatiques, d'autres, par contre, occasionnent à l'Etat de fortes dépenses en devises, sans pour autant atteindre les objectifs escomptés ou assignés. Il est des spectacles ou des expositions-ventes organisés avec le concours de pourvoyeurs de fonds, mais dont l'impact demeure tout juste modeste. La raison en est que le consommateur local attend parfois autre chose.Ces imperfections auront été corrigées avec l'avènement et la prolifération de festivals et manifestations nationales et internationales institutionnalisés. De fait, à titre d'exemple, en matière de spectacles musicaux, la capitale de l'Est est relativement bien servie avec ses nouvelles tendances allant des chants ancestraux andalous aux musiques actuelles. Constantine s'est progressivement ouverte et a étoffé son ouïe avec de nouvelles sonorités. «Disons que sur ce plan, la cité est bien servie. Et à travers l'existence de festivals institutionnalisés, on a pu déceler la demande du consommateur en musique. En d'autres termes, la cité millénaire n'est pas vouée seulement au malouf, mais elle a d'autres styles de prédilection», commente un mélomane constantinois. La portée est aussi agrémentée avec la naissance du Festival de la musique classique de Sétif sans omettre le traditionnel festival de Djemila qui enrichit sa programmation, d'année en année, de nouvelles stars. C'est dire l'éventail musical que s'offre la région est du pays tant au plan qualitatif que quantitatif. Restent cependant quelques déçus et frustrés tels les férus du raï qui attendent que le ministère de la Culture ou d'autres institutions consentent à donner à ce genre musical une «date» sur le planning des manifestations, car le raï trouvera certainement des échos à Constantine où il y a une réelle demande, preuve en est le succès enregistré par les quelques artistes qui sont passés sur la scène constantinoise lors du dernier Festival panafricain. Toutefois, l'équilibre entre offre et demande n'est pas assuré quand il s'agit de rassasier le lectorat permanent en ouvrages. Les collections locales proposées ne sont pas toutes écoulées, à l'exception des œuvres d'écrivains connus, tels Kateb Yacine, Malek Haddad, Assia Djebbar ou Yasmina Khadra, pour ne citer que ceux-là. Mais il faut avouer que le manque d'engouement pour la lecture fausse le diagnostic sur le besoin réel de la société dans ce domaine. C'est une lecture variée et standard que les lecteurs prisent par-dessus tout. La saga des mémoires de personnalités politiques aura dominé quelque temps les étals, mais elle s'est vite dissipée, faute de demande. Le livre ne saurait s'imposer tant que la lecture publique restera absente. Il faut que le citoyen sache ce qu'est un livre, ce qu'est sa valeur et son importance pour son développement intellectuel pour qu'il devienne plus exigeant. Autrement dit, le livre restera enfermé dans des cercles restreints, qui, de plus, ont recours souvent à des titres importés parce que introuvables localement. Il faut néanmoins souligner que l'édition nationale a été freinée par la crise mondiale écon mique, qui a aussi touché le marché du livre et, surtout, la loi de finances complémentaire qui a gelé le marché d'importation d'ouvrages. Les rares espaces destinés aux livres, pour ne pas dire les deux ou trois, croisent les doigts pour des lendemains meilleurs, espérant que ladite loi soit revue afin de lever les entraves qui lient l'activité éditoriale et commerciale. Cela dit, si d'aventure cette révision est décidée, elle devrait toutefois garder les jalons qui obligeraient les commerciaux à importer «utile». Au final, il a paraît que les Constantinois ont des tendances divergentes en matière de consommation culturelle. Une pluralité que les pouvoirs publics ne parviennent toujours pas à équilibrer bien que les budgets existent. L'aisance financière n'est pas tout. Il faut mettre en place des mécanismes capables d'assurer une bonne chaîne de transmission de la culture. D où la nécessité d'établir des comités, voire des offices qui devraient assumer le rôle de régulateur afin de satisfaire la demande de la société, visiblement en décalage avec l'offre.