Photo : A. Lemili De notre correspondant à Constantine A. Lemili Avalant des milliers de kilomètres et remontant quelque part le temps, J. J. Andreani, documentariste français d'origine corse s'est rendu jeudi dernier à Biskra afin de retrouver une troupe séculaire connue notamment pour l'usage de la chekoua. Musicien lui-même et joueur de cornemuse, il estime que l'instrument à vent en question ne peut qu'être le chaînon, entre autres, reliant entre eux l'ensemble des pays de la Méditerranée dont l'un des points de convergence serait, au-delà d'autres traits tout aussi essentiels, la musique. Effectivement la cornemuse version algérienne est toujours omniprésente dans la région de Biskra et d'El Alia, un immense quartier où se sont installés à partir du «XVIIe siècle en provenance d'Afrique du Sud nos aïeux, les Merzoug», soulignera Abdelkrim, l'un des descendants de la tribu. Jusqu'à une période récente et plus précisément au cours de l'année 2009, les Merzoug, qui ont de tout temps rejeté l'idée de consigner à travers des enregistrements leur patrimoine musical, ont enfin consenti, sur l'insistance de Fayçal, un jeune propriétaire de studio d'enregistrement, à immortaliser le legs des anciens non pour le placer dans le circuit commercial mais pour assurer une publicité au genre, ne serait-ce que pour le sortir de sa méconnaissance publique et également le préserver du risque de disparition compte tenu de la multiplication de genres hybrides qui auraient déjà pratiquement envoyé à la trappe d'autres styles musicaux du terroir. Les descendants de Merzoug, qui n'ont jamais envisagé d'abandonner une culture constituant pour eux le seul trait d'union avec le père spirituel du genre, accepteront la proposition de Fayçal, rejoignant le studio pour procéder graduellement à l'enregistrement de leur répertoire et surtout ne s'opposant pas au recours de moyens technologiques modernes pour ce faire. Fayçal n'hésitera pas à nous confirmer ses appréhensions premières une fois le challenge entamé. «Je savais que pesait sur mes épaules une lourde responsabilité. Celle de compiler une musique dont il faudrait surtout et principalement préserver l'authenticité, parce qu'elle a une histoire bâtie sur l'amour d'un sol, les origines, le devoir de mémoire, les douleurs dues au déracinement et la solidarité face à l'adversité. Ce n'était pas facile.» C'est d'ailleurs la cohérence de la proposition formulée par Fayçal qui rassurera Abdelkrim Merzoug, lequel à son tour parlera d'une musique propre au clan, séculaire, en ce sens qu'elle reste «la forme d'expression d'une tribu venue de très loin pour traverser le continent, s'installer dans la région et faire face à une culture, un mode de vie différents mais auxquels elle s'est adaptée progressivement, quoique gardant un genre musical ou un diwan qui n'était en aucun cas identique à ceux de Rabat, d'Alger, de Tlemcen mais inspiré d'un faisceau de diwans tribaux, dont celui de Mechdouda [Biskra] connu pour son caractère revendicatif. La revendication au sens de l'affirmation identitaire. Or, pour revendiquer, il fallait déjà avoir une particularité qui consistait, en musique, dans l'usage du mezwed, de la chekoua ou encore de la cornemuse. Un instrument qui, même s'il se ressemble à travers les pays où il est utilisé, demeure spécifique toutefois par les éléments naturels qui le constituent, et le son qu'il émet». Autant Fayçal que Abdelkrim nous fourniront de nombreuses anecdotes sur la chekoua, instrument agro-pastoral par excellence, émerveillant d'ailleurs le documentariste français qui, à son tour, les relayera par celles qui ont cours dans sa Corse natale. Le récital donné par les Merzoug dans une oasis de la ville pour les besoins du documentaire allait s'avérer un moment d'anthologie pour les personnes présentes pratiquement envoûtées par le rythme. Concluons enfin que les Merzoug se produisent régulièrement à l'étranger (France, Irlande, Belgique) sur invitation des institutions culturelles nationales dans le cadre des Festivals de musique traditionnelle authentique.