Il fait partie de ces étrangers, des Français notamment, qui ont épousé la cause algérienne au point de sacrifier leur vie pour elle. Ils sont nés Français mais ont choisi de devenir aussi Algériens de cœur, convaincus qu'ils étaient de la justesse du combat de leur peuple «frère» et de l'iniquité des tenants de la politique du gouvernement français. Alors qu'ils se sont vu traiter de «traîtres» de la épublique, ils n'ont eu de cesse d'affirmer que la défense des valeurs suprêmes de cette République dictait précisément que celle-ci ne dénie pas ces mêmes valeurs aux autres peuples. Il a été à l'origine du célèbre réseau qui porte son nom et qui avait activé comme une cinquième colonne pour le compte du Front de libération nationale (FLN) pendant la guerre de libération nationale. Vous l'aurez ompris, il s'agit de Francis Jeanson qui a tiré sa révérence il y a seulement quelques mois, à l'âge de 87 ans, à Paris. C'est au plus fort de la guerre de libération nationale que ce philosophe français a décidé de mettre en œuvre ses idéaux anticolonialistes en créant le réseau Jeanson, lequel était chargé de transporter des fonds et des faux papiers pour les agents du FLN activant dans la métropole française. Pour leur activité, ses animateurs se feront appeler «les porteurs de valises». Après trois années d'existence dans la clandestinité, le réseau fut démantelé en février 1960 et son procès s'ouvrit le 5 septembre 1960. Quinze des inculpés furent condamnés le 1er octobre à dix ans de prison, maximum de la peine ; trois furent condamnés à cinq ans, trois ans et huit mois. Neuf furent acquittés. En fuite à l'étranger, Francis Jeanson sera, lui, jugé par contumace et condamné à dix ans de réclusion. Ce n'est que six ans plus tard, à l'occasion de son amnistie, qu'il reviendra en France pour prendre d'autres responsabilités. Celui qui avait choisi de rallier la cause algérienne avait, pour les mêmes convictions, rejoint en 1943, fuyant l'Espagne, les rangs de l'armée française de la Libération, endant la Seconde Guerre mondiale. Sa confrontation aux pratiques et aux horreurs du nazisme a attisé son penchant pour la défense des causes justes, des peuples opprimés et des luttes ouvrières. Et c'est tout naturellement qu'il afficha sa sympathie pour le FLN qu'il décida de soutenir à travers notamment son réseau de «porteurs de valises». A travers la revue de propagande qu'il publia, Vérité pour, il tenta de faire comprendre aux Français notamment le sens de son engagement. Car, comme il s'en était rendu compte, même certains de ceux qui se proclamaient de la tendance communiste ou de la gauche françaises préféraient une attitude plus mesurée à l'égard de la guerre d'Algérie. Aussi, lorsqu'il publia Notre guerre, en juin 1960, Jeanson était devenu la «mauvaise conscience» de cette gauche, rapporte-t-on dans les écrits le concernant. En dépit de cela et bien après le démantèlement de son réseau, il continua à soutenir le droit à l'indépendance des Algériens. «D'âme et de cœur, nous ne pouvions laisser tomber ce peuple car, comme lui, nous étions Algériens !» aimait-il à répéter. Dans une récente interview (2 juin 2009), publiée sur la Toile, il avait affirmé avoir découvert, après un voyage et une tournée en Algérie, «combien les Algériens étaient méprisés par les grands colons et la situation abjecte dans ce pays». Il s'était également exprimé sur les crimes coloniaux pour dire son incompréhension qu'«on pose aujourd'hui la question de la torture [durant la guerre de libération, NDLR] sans poser la question de la guerre coloniale. Ce sont deux questions indissociables». Et d'ajouter : «Mais ce n'est pas la responsabilité de la guerre qu'on incrimine. Ce sont les incidences de cette guerre. J'ai d'ailleurs constaté qu'on n'incrimine pas toutes les conséquences de la guerre. Il y avait aussi les viols, les camps de concentration, qui faisaient partie de la guerre au même titre que la torture.» L'engagement de Francis Jeanson en faveur d'une Algérie souveraine s'est fait aussi par la plume : il a écrit plusieurs livres sur la guerre d'indépendance, dont l'Algérie hors la loi, en collaboration avec Colette Jeanson (1955), Notre guerre, éditions de Minuit (1960), la Révolution algérienne, problèmes et perspectives (1962), Algéries, Seuil (1991). M. C.