Engagé dans un bras de fer politique depuis le début de l'été dernier, le président du Niger Mamadou Tandja est sorti par la petite porte jeudi dernier suite à un spectaculaire coup d'Etat, œuvre d'un groupe de militaires. Le désormais ex-chef d'Etat du Niger a été renversé pour avoir voulu rester contre vents et marées au-delà du deuxième mandat que l'ancienne Constitution autorisait. Elu d'une manière démocratique en 1999, puis réélu en 2004 pour un second mandat, Mamadou Tandja a été le premier à avoir violé le principe du jeu de l'alternance au pouvoir en modifiant la première loi du pays, le 4 août dernier. Cette modification avait porté sur la suppression de la limitation du nombre de mandats présidentiels à deux quinquennats successifs. Pourtant, c'est durant son premier mandat que le principe de la limitation du nombre de mandats avait été instauré pour la pérennisation de la culture démocratique au Niger. Mais l'instinct dictatorial a primé sur la volonté de sortir le pays du sous-développement et de donner à un peuple appauvri de meilleurs espoirs. M. Tandja est, pour rappel, le produit d'un coup d'Etat perpétré le 9 avril 1999 contre l'ancien président Ibrahim Baré Maïnassara, évincé du pouvoir d'une manière violente par les militaires qui l'ont assassiné. M. Maïnassara a aussi été à la tête d'une junte militaire qui l'a porté au pouvoir au mois de juillet 1996, au terme d'un scrutin contesté par l'opposition. Cette présidentielle s'est déroulée six mois après le coup d'Etat qui a mis fin à trois ans de régime démocratique, marqué par une cohabitation houleuse entre le président Mahamane Ousmane et le Premier ministre Hama Amadou, issu de l'opposition, pendant environ onze mois. Vingt ans auparavant, sur une période s'étalant entre 1974 et 1993, le pays avait vécu sous un régime d'exception. A la mort de Seyni Kountché en 1987, Ali Saïbou prend le pouvoir et adopte le 24 septembre 1989 une nouvelle Constitution qui officialise la primauté du parti unique, le Mouvement national de la société de développement (MNSD). Il est nécessaire de rappeler que Seyni Kountché a pris le pouvoir à la tête d'un conseil militaire lors d'un coup d'Etat perpétré le 15 avril 1974. Jusqu'en 1993, le Niger avait vécu l'enfer. La population targuie, qui vit dans le nord du pays, a été poussée à se révolter contre la discrimination économique, politique et sociale dont elle a été victime depuis l'indépendance du pays anciennement colonisé par la France jusqu'en 1960. La rébellion targuie a été sauvagement réprimée par l'armée qui a renforcé son pouvoir à travers tout le pays, ne tolérant aucune protestation de la part d'une population nigérienne qui survit grâce à l'aide alimentaire internationale. L'arrivée au pouvoir de Mamadou Tandja, qui a réussi à trouver un accord de paix avec les Touareg, a redonné beaucoup d'espoir aux Nigériens grâce à ses promesses de réformer l'Etat et de relancer l'économie de son pays. En dix ans, le Niger a pu reprendre son destin en main et a connu une appréciable croissance économique, grâce notamment à l'exploitation des ressources minières comme l'uranium, l'or, le fer et le gaz. D'ailleurs, le Niger est placé à la deuxième place du pays les plus riches en uranium dans le monde, derrière l'Australie. Et c'est en usant de cet argument que Mamadou Tandja a réclamé un troisième mandat afin, expliquait-il, de lui permettre de poursuivre son œuvre. Mais ni l'opposition ni la population n'étaient d'accord. Donc, à partir de juillet, la situation politique au Niger a commencé à se dégrader après que M. Tandja eut affiché sa volonté de modifier la première loi du pays. En promulguant une nouvelle Constitution qui l'autorise à briguer un troisième quinquennat successif, le désormais ex-président nigérien a franchi la barrière du tolérable. Pour étouffer la contestation, il a dissous la Cour constitutionnelle et a placé ses proches avant de dissoudre l'Assemblée nationale et de réprimer l'opposition. En octobre dernier, il a organisé des législatives anticipées, boycottées par une majorité de l'opposition, et il s'est offert une nouvelle Assemblée parlementaire à la mesure de ses ambitions. Mamadou Tandja pensait qu'il allait pouvoir prolonger son deuxième mandat de trois ans (jusqu'en 2012), avant de convoquer une présidentielle à laquelle il voulait être candidat. Mais voilà qu'une partie des militaires, opposée à son projet antidémocratique, s'est donné le temps nécessaire pour commettre son putsch et le chasser du pouvoir. L'action de la junte a été approuvée par une grande partie de la population qui est sortie dans la rue à Niamey pour lui exprimer son soutien. Cela n'a pas été le cas dans les pays voisins et les autres organisations continentales et internationales. L'ONU, l'Union européenne et l'Union africaine ont fermement condamné ce coup d'Etat auquel s'attendaient certains pays comme les Etats-Unis. Mais entre ceux qui ont approuvé ce putsch et ceux qui se sont élevés contre la junte, il n'y a pas une grande différence. Les deux tendances ont fini par appeler les membres de la junte à faire revenir le Niger à la légalité constitutionnelle et à tenir une nouvelle présidentielle dans les meilleurs délais. La mission internationale conjointe (UA, ONU et UE) qui s'est entretenue dimanche dernier et hier avec la junte a fini par accepter cet état de fait tout en insistant sur l'organisation de la présidentielle avant la fin de l'année en cours. L'armée, réunie autour du «Conseil suprême pour la restauration de la démocratie (CSRD)», s'est engagée de son côté à rétablir l'ordre dans le pays dans les meilleurs délais. Si des discussions devront être menées dans les jours et semaines à venir, sous la médiation du président burkinabé Blaise Compaoré, la junte a néanmoins réussi à rassurer la communauté internationale. L'enjeu économique est trop grand pour laisser, en fait, le Niger sombrer davantage dans sa crise politique. La position stratégique du Niger, dans l'Afrique subsaharienne, constitue aussi un enjeu de taille pour de nombreux pays, surtout les Etats-Unis. La France, qui a des projets d'exploitation de l'uranium, via l'entreprise Areva, n'a pas non plus intérêt à perdre pied dans son ancienne colonie. Autrement dit, tout le monde finira par reconnaître la légitimité du futur président et du futur gouvernement nigérien comme elle a accepté de composer avec les précédents présidents et gouvernements issus des putschs qui se sont succédé depuis 1974. L. M.