Photo : M. Hacène Par Abderrahmane Semmar Une dalle de sol étincelante, des escaliers en marbre, des cuisines en granit, des salles de bains en faïence resplendissante, des balcons en peinture dorée, des espaces verts et des aires de jeu flambant neuf, des allées et des parkings soigneusement décorés, tel est le panorama enchanteur qui s'est offert, dès les premières lueurs de la matinée d'hier, aux centaines de familles du bidonville du site Doudou Mokthar, lieu infâme qui appartient désormais au passé amer de l'Algérie. Ces familles, qui vécurent dans des habitations indignes, vivent désormais dans des appartements, dont les portes en bois massif renvoient à elles seules à certains quartiers chics de la capitale. Il est en réalité difficile de croire devant la magnificence des bâtiments de la cité Tessala El Merdja, située à 30 km d'Alger, que ces logements, gérés par l'OPGI de Hussein Dey, appartiennent à la catégorie du logement social locatif. Et pour cause, dans ces 1 300 nouveaux logements, le luxe rivalise largement avec le chic et l'emporte facilement sur la sobriété. Pour obtenir la qualité des matériaux utilisés et mettre en œuvre l'ingéniosité de l'architecture, pas moins de 16 000 architectes ont contribué à l'édification de ces ouvrages, procurant aux résidants une véritable sensation de bien-être. Face à ce cadre de vie impressionnant, les habitants des bidonvilles du site de Doudou Mokthar, qui ont été détruits hier tôt dans la matinée, n'ont pu cacher leur bonheur. C'en est donc fini de leur vie cauchemardesque, qui s'égrenait au rythme des maladies et des infections causées par une absence totale d'hygiène dans le bidonville. «Je n'en crois pas mes yeux. Jamais, je n'ai rêvé d'un aussi beau logement. Ma vie est, dès aujourd'hui, bouleversée. Je peux maintenant commencer une nouvelle existence», exulte un père de famille dont le visage obscur et ridé ne cache guère la joie profonde qui anime son cœur. La joie, c'est cette même émotion qui a enivré les 295 familles de l'ex-bidonville de Hydra. Demain et vendredi, le reste des 924 familles concernées par cette opération de relogement vont fouler leurs nouveaux appartements.Dans les prochaines semaines, près de 129 familles du quartier Zaatcha seront relogées dans cette nouvelle cité. Sur les lieux, les autorités de la circonscription administrative de Birtouta, les services de la wilaya d'Alger et ceux de l'OPGI d'Hussein Dey ont mis tous les moyens possibles pour assurer le bon déroulement de cette opération. Des bureaux de recours ont été installés juste à côté de l'unité de gestion de l'OPGI pour répondre aux sollicitations des contestataires. Mais, ces derniers ont été vraiment rares au regard du haut standing des logements attribués. Les directions de la santé et de l'éducation ont été également installées dans des bureaux pour fournir les explications nécessaires aux nouveaux résidants de la cité. Une cité qui témoigne, selon Mohamed Smaïl, directeur du logement de la wilaya d'Alger, que l'Etat ne lésine plus sur les moyens pour construire des logements de qualité. «35 000 nouveaux logements sociaux sont réservés à la wilaya d'Alger dans le nouveau programme quinquennal. On pourra même atteindre pas moins de 48 000 nouveaux logements avec tous les projets qui sont en cours de réalisation. Je dis donc à tous les citoyens défavorisés de patienter un peu car il y aura des logements pour tout le monde», assure notre interlocuteur, qui précise que l'opération de relogement ne s'arrêtera pas de sitôt. Pour preuve, au moins 12 000 logements seront distribués dans les semaines à venir, affirme-t-il. Ces logements concerneront les habitants de bidonvilles, sans exception, les habitants de quartiers populaires, les familles habitant les immeubles qui menacent effondrement, les 200 familles vivant dans les cimetières et les sinistrés occupant les 25 sites de chalets. Tous ces citoyens bénéficieront d'appartements de haut standing au prix d'un loyer qui ne dépasse guère les 3 000 DA ! Une chance qui fera bel et bien pâlir les plus nécessiteux des Algériens tant la crise du logement n'épargne aucune couche de notre société. S'il a été recensé plus de 45 000 familles vivant dans des conditions indécentes, essentiellement dans les 420 bidonvilles qui ceinturent Alger, personne ne peut nier que des dizaines de milliers de médecins et d'enseignants vivent également dans une réelle détresse à cause de la cherté des logements. Ces derniers, qui n'ont ni déclenché d'émeutes ni brûlé des pneus ou bloqué des routes, ont été nombreux à venir visiter, hier, cette nouvelle cité qui caresse le regard rien de ses couleurs chatoyantes. «Nous sommes là pour nous rincer l'œil. Nous sommes de simples fonctionnaires auxquels on ne veut pas attribuer de logement puisqu'on n'est pas aussi dangereux que les émeutiers», lancent, les larmes aux yeux, un couple d'enseignants qui a fait le déplacement jusqu'à Tessala El Merdja, espérant aborder des responsables afin de leur exposer leur situation de mal logés. Certains responsables de l'OPGI ont bien reconnu à ces gens-là qu'une grande injustice est en train de les frapper à travers cette opération de relogement. «Croyez-moi, je peux vous certifier que ces logements chics ont été conçus pour l'offre promotionnelle et non pas pour le logement social. Le prix réel de chaque appartement dépasse le milliard de centimes car vous avez bien remarqué son haut standing. Le marbre enveloppe les bâtiments de fond en comble. Un stade «pelousé» et une piscine semi-olympique seront même bâtis par la direction de la jeunesse et des sports. Je suis un cadre de l'Etat et je ne pourrais jamais rêver d'un tel logement. Pourtant, je donne tout pour mon pays à travers mon travail. Pourquoi récompense-t-on seulement les habitants de bidonvilles en leur offrant de tels logements ? Moi, je vois de la politique derrière tout ça», regrette un travailleur de l'OPGI, mobilisé sur place depuis deux jours. Les agents de sécurité et autres travailleurs de l'OPGI présents sur les lieux n'ont pas hésité à exprimer leur colère face à des comportements incorrects qu'ils observent depuis le début des opérations de relogement à Alger. «Certains bénéficiaires ne méritent pas ces logements. Dès les premiers jours, ils ont commencé à détériorer le mobiliser public, ternissant ainsi la qualité des habitations. D'autres se résignent dans ce comportement lorsqu'on essaie de les sensibiliser au sujet de l'importance de la préservation des espaces verts. Mais, ce qui est le plus malheureux, c'est de voir certains proclamer tout haut leur intention de relouer ces logements pour en tirer un profit. Cela prouve que ces gens profitent des largesses de l'Etat», témoignent plusieurs interlocuteurs rencontrés à Tessala El Merdja. Face à ce constat, les autorités de la wilaya d'Alger assurent que ces bénéficiaires sont réellement dans le besoin. «Des enquêtes sociales ont été réalisées il y a de cela environ trois mois. On a même débusqué des faussaires qui ont déjà bénéficié de logements dans d'autres wilayas du pays. Elles sont près de 68 familles à avoir été rejetées de la liste du relogement à Doudou Mokthar. A Diar Echems, on a rejeté 23 familles. C'est dire qu'on a effectué un véritable travail d'investigation», relève Smaïl Mohamed, qui avoue comprendre la frustration de la classe moyenne qui n'est pas concernée par ce relogement décidé à Alger. «Mais sachez qu'une nouvelle formule pour cette catégorie de la société est en cours d'élaboration au ministère de l'Habitat. Il s'agit du logement promotionnel [aide de l'Etat] qui pourra entrer en application en 2010», rassure le directeur du logement de la wilaya d'Alger. Une assurance qui risque fort de ne pas convaincre nos concitoyens, notamment les cadres et les fonctionnaires qui se considèrent aujourd'hui comme les oubliés de la politique du logement dans notre pays.