C?est le baron de Haussmann qui inventa l?idée même du trottoir à Paris, à la fin du XIXe siècle. En ces temps-là, la circulation hippomobile faisait beaucoup de victimes parmi les piétons. Le trottoir fut une véritable révolution urbaine. Son statut relevait du domaine public, en ce sens qu?il appartenait à tous et qu?il n?était la possession de personne. Nul ne pouvait en disposer pour son usage personnel, y apporter une quelconque modification ou l?occuper sans autorisation pour toute durée, aussi courte soit-elle. Chez nous, depuis le début des années 70, le trottoir a glissé doucement vers le no man?s land de la gestion publique et a fini par perdre toute signification. Il a d?abord commencé par être déserté par les piétons, qui lui préfèrent la rue pour déambuler. Les passages cloutés n?avaient donc plus de raison d?être et ils disparurent de la circulation. Envahis dans leur domaine réservé, les automobilistes franchirent «la Rue Bicon» et se servirent désormais des trottoirs comme de parkings conquis de haute lutte. Ils seront suivis de «colons» de toute sorte. D?abord par les kiosques qui vont y pousser tels des champignons, puis par des commerçants ambulants qui finiront par prendre racine, ensuite par l?ensemble des riverains. Ainsi à Sétif, à El-Eulma, à Sidi Bel Abbes ou à Annaba, certains commerçants vont accaparer leur portion de trottoir, le carreler à leur goût et parfois même le clôturer. Chacun y allait de son goût personnel, faisant de cet espace un patchwork aux couleurs criantes. Cela allait de la dalle de sol glissante à la faïence de salle de bains. D?autres vont y ériger des ouvrages, comme des arcades ou des marches d?escalier. Il y en a même qui pousseront l?audace jusqu?à y construire et l?intégrer à leur propriété. Les quelques piétons qui voudraient bien continuer à emprunter le trottoir ne savent plus sur quel pied traverser. Ils n?ont plus qu?un choix : s?acheter une voiture et zigzaguer entre les piétons de la rue.