Synthèse de Hassan Gherab «Nos sociétés génèrent des masses toujours plus grandes d'informations, alors que la durée de vie des supports numériques disponibles pour la conserver n'a jamais été aussi courte […]. Une grande quantité d'informations personnelles, médicales,scientifiques, techniques, administratives, artistiques, etc. est en réel danger de disparition.» C'est là le constat pour le moins alarmiste du rapport «Longévité de l'information numérique» établi par les experts du groupe PSN (Pérennité des supports numériques) au sein de l'Académie des sciences et de l'Académie des technologies qui a été présenté lundi dernier et sera publié le 9 avril prochain. Selon le groupe PSN, les supports numériques ont une durée de vie de 5 à 10 ans. Mais cette moyenne cache des délais nettement moins longs comme ces 8% de CD ou DVD qui sont inutilisables au bout d'un an seulement. Le problème n'est pas nouveau, mais c'est la première fois que des scientifiques alertent officiellement le grand public, les institutions et les entreprises sur cette menace. «Les fabricants ont voulu nous faire croire que leurs supports de stockage conserveraient nos données une éternité. Ce n'est pas le cas», insiste Franck Laloë, coauteur du rapport et directeur de recherche au CNRS (Jean-Charles Hourcade et Erich Spitz sont les autres signataires du rapport). Les études menées notamment par le Laboratoire national d'essais dans le cadre de ce rapport montrent que la durée de vie des CD-R et des DVD-R (disques à gravure unique, les disques -RW étant réinscriptibles) ne dépasse pas quinze à vingt ans dans le meilleur des cas, et que les plus mauvais d'entre eux se dégradent au bout d'un an seulement. Les disques durs du commerce ne vaudraient guère mieux. En moyenne, une panne intervient dans les trois à cinq ans, souvent en raison de crashs mécaniques. Et les affaires ne s'arrangent pas avec l'évolution des techniques. «Plus la densité d'informations augmente sur ces supports, plus ils sont fragiles», avertit Franck Laloë. Bref, les Blu-ray inscriptibles résisteraient moins bien au temps que les DVD-R, qui eux-mêmes sont plus fragiles que les CD-R. La difficulté, poursuit l'expert, c'est qu'on ne peut même pas se fier à une marque de disques en particulier, ni même à un modèle : «Il semble que les constructeurs ne maîtrisent pas bien leur processus de fabrication. On observe des différences de vieillissement importantes entre des produits identiques.» Même les disques «hard coat», vendus comme plus résistants ne sont pas meilleurs, «ils vous protègent contre les rayures, pas contre le vieillissement», note F. Laloë. La prédiction de la longévité de ces supports semble impossible aujourd'hui. Mais certaines causes accélèrent le vieillissement : l'exposition prolongée à la lumière, à l'humidité… «Le problème, c'est que vos disques vieilliront même si vous ne vous en servez pas, même si vous les enfermez à l'abri, dans une armoire…» prévient M. Laloë. L'enjeu pour les hôpitaux, les administrations et les entreprises comme pour le grand public est capital. On estime que le besoin d'un foyer se situe entre 100 Go et 1 To pour le stockage de photos, de vidéos et de documents en tout genre. Face à ce risque, quelle stratégie adopter ? Pour Franck Laloë, «le seul conseil que l'on puisse donner aux gens est de recopier leurs données sur plusieurs disques et de renouveler les sauvegardes sur des supports neufs régulièrement». L'autre solution consiste à déléguer cette fonction d'archivage à un service en ligne. Mais cela ne fait que reporter le problème auprès d'un prestataire. Or, cette stratégie de stockage a un coût. A l'échelle de la France, la préservation du patrimoine s'élèverait entre 2 et 20 milliards par an. Une somme impressionnante. La solution à long terme passe donc par une autre voie : la conception d'un disque offrant une durée de vie bien meilleure. Dans leur rapport, les experts citent le «century disc», un support sur lequel l'information est gravée directement dans le verre grâce à un procédé de lithogravure. Problème : le prix des «century disc» est encore «dix fois trop élevé pour être accessible aux particuliers». Pour les autres recommandations, l'Académie des sciences demande d'abord de débloquer les études «réellement scientifiques» sur ces phénomènes de vieillissement. Des études «visant à dégager des formats de supports d'archivage longue durée» qui seraient menées en étroite liaison avec les États-Unis et le Japon. Depuis août 2008, le Japon a par exemple constitué l'Archive Disc Test Center, ou DONE, un centre indépendant disposant de cinq enceintes de vieillissement accéléré (température et humidité). Ses futures conclusions seront concrétisées par un logo Optical Disc Archive Time Test donnant une indication sur les propriétés à l'épreuve du temps. Toujours sur le même plan, le PSN demande qu'on évite la perte des compétences dans le privé et le public en prenant «les mesures urgentes» nécessaires à leur préservation «avant qu'elles aient complètement disparu». Enfin, les experts demandent que soit élaborée une véritable politique d'archivage numérique. D'abord, en s'assurant auprès de chaque ministère que les données importantes sont «bien l'objet du suivi indispensable à leur survie». Ensuite, en évaluant l'intérêt d'une mutualisation des moyens, par exemple par la création d'un centre de conservation des données numériques à long terme.