Photo : S. Zoheir De notre correspondant à Annaba Mohamed Rahmani Malgré une surface agricole utile (SAU) de 48 177 hectares, les milliards investis dans le cadre des différentes réformes, les plans de développement (PNDA, FNRDA), les soutiens, les subventions et la loi d'orientation, le secteur agricole à Annaba n'a pas vraiment décollé. Il faut dire que le foncier agricole pose de sérieux problèmes en dehors du morcellement des terres et des contentieux liés à l'héritage. Les EAC et les EAI constituent un véritable frein à ce décollage tant attendu. Issues de la loi 87/19, ces entités agricoles, au nombre de 469, ont accaparé les meilleures fermes et terres laissées par les colons et gérées auparavant dans le cadre des domaines agricoles socialistes, occupant plus de 50% de la SAU avec 25 493 ha. Les exploitations agricoles collectives (EAC) ou individuelles (EAI) confiées à des groupes d'agriculteurs ou à des individus ayant travaillé dans les domaines cités plus haut sont exploitées sur la base d'un acte administratif accordant à ces personnes un droit de jouissance dont la durée n'est pas fixée. Si, au début, ces EAC et EAI ont quelque peu participé à l'essor du secteur, ne serait-ce que par une forme quelconque de production céréalière ou maraîchère, elles ont presque toutes abandonné le travail de la terre pour verser dans d'autres activités. Certaines ont continué pourtant à exploiter ces domaines mais, confrontées à des problèmes d'équipement ou de financement, elles ont, elles aussi, cessé de produire. Quand la terre devient un commerce Détournement, sous-location des terres, mise en jachère et abandon ont fait de ces EAC et EAI un moyen de gagner beaucoup d'argent sans se fatiguer. C'est une sorte de commerce encadré par une réglementation qui n'a pas prévu ces comportements de la part des bénéficiaires, qui étaient à l'origine des agriculteurs. Ces bénéficiaires, dont la plupart ont changé d'activité tout en conservant leurs droits sur ces terres fertiles, les sous-louent à des particuliers qui les exploitent et produisent sans pour autant profiter des dispositions du Fonds national de régulation et de développement agricole qui accorde des avantages et des subventions parce que n'ayant ni acte de propriété ni acte administratif qui leur donne le droit d'en jouir. Ce sont les bénéficiaires qui profitent de cette batterie de mesures en faisant valoir leurs droits pour acquérir les semences et les différents fertilisants auprès des CCLS à des prix subve tionnés ; semences et fertilisants qu'ils revendent au prix fort sur le marché parallèle et parfois aux exploitants de ces mêmes EAC et EAI. Une situation absurde qui porte préjudice à tout le secteur de l'agriculture. En effet, comment peut-on concevoir que les milliards affectés au soutien de ce secteur n'aillent pas à ceux qui exploitent effectivement les terres et profitent à des parasites par le simple fait qu'ils sont détenteurs d'actes administratifs ? Une situation qui a duré près d'un quart de siècle. La loi d'orientation agricole (08/16 du 3 août 2008) avec son corollaire représenté par l'Office national des terres agricoles, (ONTA) créé en 1996, est venue mettre fin à cet état de déliquescence dramatique du foncier agricole. Il faut aussi signaler que les services de la Direction des services agricoles, n'ont pas chômé entre-temps et ont procédé à des contrôles au niveau de ces EAC et EAI pour découvrir que, effectivement, certaines d'entre elles ont été détournées de leur vocation, abandonnées pour des problèmes de scission interne, de cumul de fonctions ou encore sous-louées. Des procès ont été intentés à ces entités, mais avec les lenteurs de la justice, la déchéance judiciaire prend en moyenne 4 à 6 ans si effectivement la justice rend son verdict en faveur de l'Etat représenté par la DSA. Le décret exécutif n°96-87 du 6 choual 1416 correspondant au 24 février 1996 portant création de l'Office national des terres agricoles n'a été mis en application que très récemment avec l'arrivée de l'actuel ministre de l'Agriculture, M. Rachid Benaïssa, qui a doté cet office d'un président-directeur général et d'un conseil d'administration. Il y a près de 3 mois ont été installées les différentes structures de cette institution qui sera dotée de prérogatives ayant trait à la gestion de ces terres, au contrôle de leur exploitation ainsi qu'au respect de la réglementation en vigueur régissant le foncier agricole. Le nouveau projet de loi portant réorganisation des exploitations agricoles collectives (EAC) et individuelles (EAI) vise, entre autres, à remplacer le droit de jouissance accordé aux bénéficiaires par une concession limitée dans le temps, d'une durée de 40 ans, avec la possibilité d'entrer en partenariat avec des étrangers. Il n'en fallait pas plus pour que les critiques fusent de toutes parts, et une levée de boucliers en règle a été orchestrée en vue de faire avorter ce projet de loi avant sa promulgation. Ce qui est sûr, c'est que les tenants du statu quo à Annaba ne veulent pas entendre parler de cette loi qu'ils ont déjà jugée défavorable au secteur. «On ne va pas remettre nos terres aux étrangers sous forme de concession, on ne l'acceptera jamais et, si cette concession est accordée exclusivement aux Algériens, il faut que la durée soit revue à la hausse pour atteindre 99 ans. Toute ma famille a toujours travaillé dans cette EAI et je ne voudrais pas voir ces lopins de terre revenir à d'autres personnes après ma mort», déclare un vieil agriculteur. D'autres soutiennent que, si les EAI et les EAC n'ont pas été rentables ou n'ont pas assez produit, c'est dû au manque de moyens et au refus des banques d'accorder les financements nécessaires pour mener à bien une campagne. En aucun cas donc les membres des EAC ou des EAI ne sont responsables de la situation. Vers un retour au travail de la terre Au niveau de la DSA de Annaba, on nous dit que les fermes pilotes pourraient éventuellement être concernées par le partenariat avec les étrangers et ce, pour libérer les initiatives et amorcer le retour au travail réel de la terre. Il s'agit là d'un regard purement économique. Les fermes pilotes, au nombre de 3 à Annaba, totalisent à elles seules plus de 1 000 ha. Hormis celle de Aïn Berda, sous tutelle du ministère de l'Agriculture et affectée à la multiplication des semences (céréales et légumes secs) en plus de l'accompagnement et de la formation des agriculteurs, les deux autres, celles d'El Hadjar et de Kherraza, ne sont pas véritablement exploitées comme prévu, l'une se retrouve avec des terres en jachère et l'autre a été détournée de sa vocation première, qui est l'élevage, pour se convertir dans les produits vitivinicoles. Une situation qui ne peut durer et à laquelle ce projet de loi veut mettre fin malgré les oppositions et les contestations des uns et des autres parce que, tout simplement, la concession est soumise à des conditions et à un cahier des charges que doivent respecter ceux qui prennent en main ces terres, ce qui ne plaît pas à certains habitués qui en profitent sans pour autant les travailler. L'autosuffisance et l'indépendance alimentaires passent par cette réforme, douloureuse peut-être pour certains, mais prometteuse pour toute l'Algérie.