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La filière textile déstructurée et menacée de disparition
Jadis, un des fleurons de la production industrielle nationale
Publié dans La Tribune le 21 - 04 - 2010

Ayant pour principal objectif la fixation du personnel dans les différentes régions (notamment éloignées) où l'investissement était réalisé, le secteur de l'industrie du textile, jadis florissante, n'a pas vécu trop longtemps dans l'Algérie post-indépendance. Près de
30 ans seulement avant de connaître une chute libre dont la vitesse initiale est au-dessus de zéro… Les chiffres parlent d'eux- mêmes. La régression de cette activité a conduit à un recul de ladite industrie, donc de l'un des principaux segments de la production nationale, en termes de parts de marché et d'emploi. Les parts du marché de l'industrie nationale, estimées à 47%, dont moins de 10% pour le secteur public, reculent fortement en volume malgré un important marché de consommation évalué à environ 95 000 milliards de dinars. Sur les 80 entreprises publiques, la capacité de production oscille entre 20 à 25 millions de mètres linéaires/an, alors que la demande globale est évaluée à 200 millions de mètres linéaires/an. Au plan social, c'est l'hécatombe.
Quelque 80 000 emplois en amont et en aval de l'activité ont disparu et ce, en dépit des restructurations successives. Les analyses des experts et spécialistes en la matière, ainsi que les chiffres rendus publics donnent le vertige. Jadis connue pour être l'un des secteurs phares de notre industrie, l'activité du textile et du cuir est au plus bas en termes de performances. Faut-il alors parler d'un secteur moribond ? Affirmatif, soutiennent certains cadres et gestionnaires des entreprises spécialisées dans le domaine. Les arguments mis en avant ont tous trait à la gestion et la performance commerciale des entreprises. Ces derniers se sont récemment exprimés, lors d'une enquête d'opinion réalisée par le biais de l'Office national des statistiques (ONS). Cette enquête, qui a porté sur le type et le rythme de l'activité industrielle et non pas sur les productions, a fait ressortir l'état dans lequel se retrouve actuellement ce secteur. Premier constat : la trésorerie de toutes ces entreprises continue à être «mauvaise» pour les textiles en raison des charges élevées, des allongements des délais de recouvrement des créances et du ralentissement de la demande. En conséquence, plus de 85% de ces dernières ont recouru à des crédits bancaires, dont plus de 66% ont eu des difficultés à les obtenir. Le deuxième constat est plutôt d'ordre social : les effectifs ont encore baissé, selon les responsables des deux secteurs. Près de 20% des patrons d'entreprises des textiles et 17% de ceux des cuirs déclarent avoir eu des difficultés à recruter des cadres et des agents de maîtrise. Près de 91% des chefs d'entreprises des cuirs déclarent pouvoir produire plus en embauchant du personnel. Plus de 7% du potentiel de production des textiles a connu des arrêts de travail inférieurs à 12 jours pour raison de conflits sociaux.
«En raison essentiellement de la vétusté des équipements, plus de 52% du potentiel de production des textiles ont connu des pannes d'équipement, causant des arrêts de travail inférieurs à 13 jours», ajoute l'ONS. Maintenant, la question récurrente qui se pose et qui reste entière a trait aux causes….
Si l'on évoque à présent la libéralisation tous azimuts du marché extérieur comme l'une des principales causes, la descente aux enfers de l'industrie du textile a commencé fin 80 début 90. En effet, certains cadres du domaine imputent la crise du textile et du cuir à la disparition de la culture industrielle du coton. Selon eux, cette disparition a imposé des importations indispensables pour faire tourner au ralenti la trentaine de filatures en activité sur l'ensemble du territoire national. La crise du pétrole intervenue durant les années 1980 a également contribué à l'achèvement de l'industrie nationale du textile et l'a mise dans l'incapacité de s'approvisionner en matière première. Pour ce qui est de l'ouverture du marché mondial du textile, à compter de 2005, ainsi que la signature de l'accord d'association entre l'Algérie et l'UE, ayant entraîné une levée des dernières barrières sur les quotas d'exportation, ont fait le reste. «Les années 1980-1990 ont tué l'industrie textile et les années 2000 l'ont enterrée». Cette phrase d'un expert industriel renseigne à quel degré ce secteur est frappé de plein fouet.
A la lumière de ces chiffres. Faut-il alors parler d'un secteur moribond ? Pour le secrétaire général de la Fédération des cuirs et textiles (UGTA), Amar Takjourt, si certains spécialistes et l'ONS parlent d'un secteur agonisant, lui préfère «dire que c'est un secteur en pleine
difficulté, qui n'a pas eu un regard assez intéressé de la part des pouvoirs publics». Pourquoi ? Parce qu'il y a une volonté politique de faire disparaître le secteur public au profit de l'économie de marché et du privé, nous a-t-il répondu.
«C'est vrai qu'aujourd'hui nous représentons 10% du secteur du textile national. Mais la question venant à l'esprit, est : pourquoi ce pourcentage ?», s'interroge la même source.
L'autre contrainte que rencontre l'industrie du textile en Algérie est la concurrence (déloyale) des produits venant des pays asiatiques, dont la majorité est contrefaite. En clair, les entreprises algériennes (étatiques et privées), se sont retrouvées désarmées, et se retrouvent, de facto, incapables de baisser les coûts de leurs produits au niveau de ceux des entreprises chinoises.
La contrefaçon touchant toutes les gammes de produits, ainsi que la concurrence déloyale du commerce informel, sont également les autres facteurs qui ont mis à genoux ce secteur ? «La décision de changer de politique économique du pays, à savoir de l'économie centralisée à l'économie du marché, n'a pas engendré les résultats escomptés. Par ailleurs, la substitution du privé n'est pas au rendez-vous et le peu d'opérateurs privés existants sont spécialisés dans la confection. Il n'y a pas d'industrie textile privée en Algérie et il n'en a jamais existé», a affirmé M. Takjourt. Et d'ajouter que la confection, elle, existe en force. La présence massive des Chinois portera-t-elle préjudice à la production nationale qui est déjà marginale ? «Non, au contraire, car si l'on fait l'analyse aujourd'hui, je dirai qu'il y a plus de possibilité de relance de la production nationale. Car plusieurs facteurs laissent présager ce scénario.
La crise financière mondiale a rappelé à l'ordre tous les Etats.
Egalement la loi de finances complémentaire 2009 qui vise l'encouragement de production nationale et la réduction de la facture de l'importation. Puisqu'on importe 90% des produits de base dans ce secteur, logiquement, la facture devrait se réduire à la faveur de cette LFC 2009. Donc, c'est au tour du secteur du textile, du cuir et de l'habillement de récupérer sa place dans le marché», a-t-il estimé. L'autre phénomène qui pourrait booster la production nationale, selon le secrétaire général de la Fédération des textiles et cuirs, est le consommateur. Car, ajoute-t-il, ce dernier a essayé les produits chinois, certes, beaucoup moins chers, mais il se trouve que la qualité fait toujours défaut. «Donc, après cette expérience, il y a un retour et un nouveau sentiment qui s'installe chez les consommateurs algériens, à savoir la recherche de la qualité. Ce changement de comportement des consommateurs est, à bien des égards, bénéfique aux produits nationaux, même si au plan de la qualité les produits algériens doivent encore être perfectionnés», souligne notre interlocuteur, qui expliquera qu'il faut faire preuve d'imagination et innover pour rendre nos produits compétitifs à tous les niveaux. «Nous avons maintenant des possibilités de produire mieux, puisque nous travaillons d'ores et déjà avec les institutions étatiques, avec les corps constitués et l'armée. Si l'on arrive à fabriquer des produits acceptés par ces institutions nationales, cela veut dire qu'il existe des produits aux normes internationales. Nous sommes donc capables de nous adapter. En sus de ces éléments, il faut changer les comportements au niveau des entreprises et bien présenter ses produits. En somme, il faut changer le modèle de gestion de l'entreprise», estime ce cadre syndicaliste. Quelles pourraient être les perspectives d'un secteur dévitalisé par tant d`hémorragies et qui ne finit pas de payer sa croissance artificielle, loin des enseignements du marché ? Le secteur possède-t-il encore le ressort et l'énergie nécessaire pour affronter un marché local volatil qui se venge de tant d'années d'insatisfaction et de non prise en compte de ses besoins ? De l'avis de certains experts, il faudrait le rétablissement des règles de fonctionnement d'une concurrence saine, autrement dit l'assainissement du marché, devient une condition sine qua non et ce, pour assurer la pérennité des entreprises mais aussi pour rendre le marché attractif à l'investissement et au partenariat. Les pouvoirs publics, laissent-ils entendre, ont grand intérêt à mettre de l'ordre dans ce secteur, notamment en ce qui concerne l'importation de friperie, l'exportation des peaux brutes et aussi pour rétablir les règles de la concurrence. En un mot, il faut une volonté politique pour aider ce secteur. Existe-t-elle réellement ? «Sur le plan des déclarations, on a eu à entendre des gens parler d'assainissement, de relance et de renouvellement du parc Mais, jusqu'à ce jour, on n'a pas vu concrètement sur le terrain un engagement même partiel. Notre fédération espère enregistrer une volonté politique visant notamment la relance de ce secteur, qui possède pas moins de 80 usines de moyen et gros calibre (plus de 14 hectares), à l'instar de celles de Batna, M'sila et Béjaïa», souhaite M. Takjourt. Pour ce qui est des autres solutions envisageables pour faire sortir ce secteur de cette situation, la même source suggère de prime, un assainissement financier, fiscal et parafiscal et investir dans les ressources humaines. Deuxième proposition : assainir le marché. En clair, il faut que l'Etat soit en mesure de contrôler et réguler le marché. «La régulation et le contrôle du marché reviennent, certes, dans les grands discours, afin de dire que l'Etat est là et qu'il est sur le terrain, mais la réalité est tout autre», préconise la même source.
S. B.


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