Il y a les tenants de la toute majesté du marché, de la totale liberté pour le marché, autrement dit la liberté débridée pour que toutes les concurrences activent, afin d'arriver à un but «noble» en soi, celui du bien-être général pour une collectivité, une région, un pays, un continent, sinon pour le monde entier. Une autre pensée, tout aussi agissante, selon la volonté, les capacités imaginatives et de management, le courage politique face à une mondialisation dont les effets dévastateurs n'en sont qu'à leurs débuts, de gouvernants et de régimes, se fraye des chemins. Cette deuxième pensée s'articule sur l'intervention des pouvoirs publics, de leur ambition politique, sur leur patriotisme validé par de la légitimité, de la légalité et, surtout, par leurs performances à légiférer, à réglementer, à fédérer sur la base d'une confiance éprouvée et prouvée à chaque mandature. Les politiques culturelles se planifient en fonction de ces paramètres. En matière de culture ou d'autres secteurs, des ministres non adoubés par le suffrage universel dans n'importe quel pays ne sont perçus que comme des fonctionnaires qui obéissent à des hiérarchies, sans plus. Et qui empêche en Algérie des ministres de faire campagne et de se faire élire à la mairie, à la région ou dans une chambre du Parlement ? La légitimité s'arrache, sinon elle est octroyée par ceux qui décident. Les experts en la matière et de brillants chercheurs en matière de culture, dans des pays capitalistes, hautement industrialisés, où existent de puissantes industries culturelles, mettent régulièrement en exergue la nécessaire intervention des pouvoirs publics. Leur argument premier est que «la dépense publique», qui n'a rien à voir avec «des tutelles» un contrôle politique par la subvention ou le soutien indirect, «l'institutionnalisation» de ce qui doit revenir obligatoirement au mouvement associatif et encore moins à des activités de propagande sous le couvert d'un manteau partisan, officiel, religieux ou carrément illégal en fonction des lois et règlements sur le papier, est indispensable. Le bien culturel, par sa fonction, sa genèse et ses finalités, qu'il soit financé par le privé ou le secteur public est un bien national, collectif, identitaire, exposable et, si possible, exportable. Ce bien procède d'une consommation (cinéma – théâtre – musique – musée – festival de bande dessinée – spectacles de rue, etc.) individuelle à partir d'un libre arbitre qui rencontre d'autres choix personnels, en bande d'amis, d'écoliers, d'étudiants, de soldats ou de sages-femmes. La somme de consommateurs qui ne se connaissent pas ou si peu forme un marché culturel quantifiable au centime près. Oui, dira le lecteur méfiant, comment additionner pour la culture nationale le travail marchand du secteur privé, et c'est son droit, et celui des pouvoirs publics, c'est leur devoir ? En 1992, le maire de New York annonce que sa mairie verse des bourses à des institutions culturelles. Il se fonde sur le fait que l'impact économique de la culture a atteint 55 milliards de francs (à l'époque) pour l'agglomération de New York en incluant tous les frais. Bien entendu, il n'est pas question, pour un siècle ou deux, de comparer la stature et les pouvoirs du maire de New York avec ceux d'un maire en Algérie. Mais peut-être que cela donnera des idées, selon la stature, les pouvoirs et la légitimité d'un maire en Algérie, juste pour assimiler le fait que la culture est rentable lorsqu'il y a une politique qui intègre le secteur privé à travers des mécanismes incitatifs que le gouvernement doit imaginer, aux côtés des interventions publiques. A. B.