La capitale compte plus de 25 000 habitations vétustes. Un chiffre qui date d'avant le séisme 2003. En fait, dès qu'il s'agit de statistiques, aucun organisme, quelle que soit sa compétence, n'est en mesure de donner des chiffres fiables. C'est dire que la politique de l'habitat ne s'est occupée jusqu'à présent que du volet relogement bien que ce dernier soit loin d'être pris convenablement en charge eu égard au rapport offre-demande. Mais cela n'est pas l'objet de notre enquête. Qu'en est-il du parc immobilier existant au niveau de la wilaya d'Alger ? On parle d'un peu plus de 400 000 logements dont 16% environ ont atteint la cote d'alerte en matière de vétusté. Autrement dit, la série noire des effondrements ne fait que débuter avec l'hôtel du Square. D'ici à juguler cette question, on peut s'attendre au pire. Les spécialistes s'accordent tous à démontrer que la mégapole est sur un immense volcan. “Un séisme de moyenne intensité est suffisant pour effacer la moitié d'Alger”, dira l'un d'eux. De Bab El-Oued à El-Harrach en passant par Alger-Centre, Sidi M'hamed et Belouizdad, le constat est effarant : plus de la moitié du parc immobilier de ces communes ne tient que grâce à la volonté de Dieu. La liste ne se limite, d'ailleurs pas, au centre-ville, d'autres communes de l'est et de l'ouest de la capitale sont également concernées bien que le phénomène soit plus accentué dans la grande ville. Dans un récent rapport établi par un bureau d'études japonais près de 50% des communes pourraient être endommagées en cas de séisme de magnitude 6 à 6,5, engendrant la destruction de plus de 620 000 logements. Ce même rapport avance le chiffre de 56 milliards de dinars de dégâts. Peur sur la ville Ces chiffres, qui mettent les Algérois dans un état de psychose, ne semblent pas pour autant inquiéter les autorités. Autrement comment interpréter l'irrésolution qui a caractérisé la prise en charge de ce dossier dans les meilleurs délais qui soient ! Pour le président du collège des architectes, “les pouvoirs publics n'ont nullement à lésiner sur les moyens”. Ceci dit, certaines APC se sont acquittées de cette question en recensant et en prenant même les décisions avérées nécessaires en pareilles circonstances. C'est le cas, notamment de l'APC d'Alger-Centre qui a pu accélérer la procédure d'expulsion pour les occupants de l'immeuble situé au 8, rue Sergent-Addoun (ex-Monge) qui abrite la fameuse boulangerie La Parisienne. Ce bâtiment, dans un état de vétusté avancé, présente un danger imminent aussi bien pour ses habitants que pour les riverains. De son côté, la commune de Sidi M'hamed a recensé quatre immeubles dont les résidants sont encore sur les lieux, mais qui seront évacués dans les tout prochains jours. Pour le P/APC, Mokhtar Bourouina, il s'agit d'une évacuation imminente des familles qui seront relogées par la wilaya, car lesdits immeubles situés aux rues Belouizdad, Alfred-de-Musset, Neggazi et des Libérés constituent un danger réel. À La Casbah, le phénomène des effondrements ne date pas d'aujourd'hui. Faute de solutions rapides et adéquates, les responsables locaux n'ont fait jusque-là que constater les dégâts. Bien sûr, et fort heureusement des vies humaines ont été épargnées, mais s'agissant du bâti, la vieille cité a vu une partie de son histoire partir en poussière. Pour le maire de cette commune, “la responsabilité est partagée et les problèmes, dans leur majorité, trouvent leur origine, d'une part, dans les comportements des citoyens eux-mêmes et, d'autre part, dans le désintéressement pour ce genre de situation à un niveau plus élevé”. Ces déclarations reprises par un confrère sont assez éloquentes pour dire que depuis de nombreuses années, la mise en place d'un programme de sauvegarde et de restauration de la cité antique revient comme un leitmotiv sans pour autant qu'une réelle volonté politique soit prise. La copropriété, cette inconnue S'il est vrai que la réhabilitation du vieux bâti est un travail de longue haleine, comme l'affirment les techniciens du domaine en se référant aux pays développés qui se sont engagés dans ce cadre tels la France et le Japon, il est sensé, en revanche, d'associer les citoyens sachant que leur contribution dans la maintenance des lieux est loin d'être reléguée en deuxième position. Pour Mme Raissi, chef de département à l'OPGI de Hussein Dey, la copropriété a fait plus de mal que de bien. Explications. “Les locataires qui ont acheté leurs logements continuent à vivre et à se comporter avec les idées et les réflexes d'avant, alors qu'ils sont propriétaires de leurs biens. Au moindre problème au niveau de l'immeuble, ils attendent l'intervention de l'OPGI pour le régler. Pour les convaincre, personnellement je donne toujours l'exemple de la voiture qu'on achète. Pourquoi se donne-t-on tout le mal pour bichonner son véhicule et le maintenir dans le meilleur état qui soit ? Tout simplement, c'est parce que c'est un bien utile qu'on veut garder dans cet état le plus longtemps possible. Ce raisonnement est pourtant valable pour le logement, plus utile à plus d'un titre”, dira-t-elle. Cette technicienne, qui a assisté à plusieurs colloques et séminaires internationaux, explique que la moindre négligence peut s'avérer fatale à l'exemple de la petite fuite d'eau qui finit par avoir raison du plancher d'une habitation. Ceci est d'autant plus vrai qu'une grande partie du bâti d'Alger est vieille, donc usée. “Au centre-ville, notamment les grandes artères Didouche et Ben-M'hidi, les constructions datent du début de la colonisation, soit 1850 à 1860. Le bâti a été réalisé à partir de matériaux récupérés de la démolition de la Basse-Casbah entreprise à l'époque des percées haussmaniennes. Sachant que ces matériaux ont été réutilisés et compte tenu de l'âge des constructions qui dépasse un siècle et demi, on ne peut que se rendre à l'évidence que leur réhabilitation est devenue une nécessité impérieuse. Pour cela, il faudrait d'abord commencer par les recensements au niveau de chaque commune. À l'OPGI, nous avons un carnet de santé de l'immobilier et chaque bâtiment est suivi comme on suit l'évolution d'un bébé”, fera-t-elle savoir. Un travail, faut-il le dire, qui contrôle les 3/4 du bâti de location d'Alger estimés à 80 000 logements. Notre interlocutrice revient à la charge pour soulever le problème du syndic qui est un métier et non une configuration, comme on a tendance à le penser. Parallèlement, elle montre du doigt ces centaines d'immeubles abritant au rez-de-chaussée et même en sous-sol des locaux commerciaux auxquels leurs propriétaires ou locataires font subir des transformations hasardeuses. Par ignorance, mais souvent par esprit de concurrence avec le voisin, ils entreprennent des extensions en “éliminant” des piliers gênants. Cette façon de voir et de faire n'est pas sans danger sur la stabilité de la structure. Des exemples frappants ont d'ailleurs été bel et bien constatés après le séisme de 2003. Les rapports techniques ont montré, selon des sources crédibles, qu'un immeuble ou une bâtisse sur 15 était l'objet d'une déstabilisation par des transformations. Là encore notre regard se tourne vers les responsables qui ont toléré ce genre de mue, alors qu'une telle œuvre ne saurait se faire sans l'autorisation des services techniques. Où est passée l'agence de réhabilitation ? L'idée de création d'une agence de réhabilitation date d'avant le séisme de 2003. Cet organisme devrait être conçu pour recenser, suivre et financer toutes les opérations de réhabilitation du vieux bâti d'Alger. “C'est la mémoire de nos villes même si les techniques de construction parasismiques sont aujourd'hui beaucoup plus maîtrisées”, fera noter Mme Raissi. Malheureusement cette initiative, au demeurant très louable, ne semble pas intéresser beaucoup les responsables du secteur compétent. Pour preuve, l'engouement d'il y a trois ans quant à la restauration du vieux quartier, compris entre la rue Ben-M'hidi et la rue Abane-Ramdane, appelé rue Tanger, avec la collaboration d'un organisme français, a perdu de son ardeur au point où l'on n'en parle même plus au sein de ce même secteur. Un projet qui risquerait d'être reporté aux calendes grecques tout comme l'ambitieux projet de restauration initié du temps du défunt Gouvernorat du Grand-Alger que l'ex-wali d'Alger Abdelmalek Nourani a bloqué. L'on se rappelle qu'à l'époque, plus de 1 000 logements avaient été dégagés pour les familles des quartiers de Sidi Ramdane et Souk El-Djemaâ, pendant qu'on s'apprêtait à faire une autre opération au niveau de Bab Djedid et la rue Amara-Ali (ex-Randon). Les défenseurs de la vieille cité et les différentes associations, qui n'ont pas cessé d'interpeller les autorités, ont fini par se rendre à l'évidence de l'absence d'une volonté politique dans ce cadre. En attendant que les parties concernées accordent leurs violons sur ce sujet épineux, des milliers de bâtisses sont en instance d'écroulement avec toutes les pertes, notamment en vies humaines, qui pourraient en découler. Déjà que pour la réhabilitation, il va falloir trouver des entrepreneurs qui pourraient accepter de vivre la même aventure que ceux qui ont pris en charge les travaux de réfection de l'après-séisme. Jusqu'à l'heure actuelle, des dizaines d'entrepreneurs attendent toujours leur régularisation financière. UNE CATASTROPHE EVITEE À LA RUE FERROUKHI Décidément, c'est la contagion au sein du vieux bâti. Les services de l'APC de Sidi M'hamed ont pu arrêter à temps des travaux entrepris sans autorisation par le propriétaire d'un hôtel au niveau du 11, rue Ferroukhi (ex-Richelieu). C'est du moins ce qui ressort du rapport d'inspection et de contrôle sur le terrain desdits services. Les responsables ont pu constater sur place que les travaux de réfection et de confortement engagés par le propriétaire n'étaient pas avalisés par les services techniques compétents. “Les normes ne sont pas respectées, ce qui pourrait provoquer d'importants dégâts vu que la structure est stabilisée. Des instructions ont été données pour, d'une part, l'arrêt immédiat des travaux et, d'autre part, l'évacuation des ouvriers hébergés à l'intérieur de l'établissement”, dira le P/APC de Sidi M'hamed, Mokhtar Bourouina. A. F.