Photo : S. Zoheïr Par Hassan Gherab Il fut un temps où la composition d'un bouquet avec les fleurs des champs qu'on offrirait à maman était le passe-temps favori des enfants qui partaient en pique-nique avec leurs parents. Pâquerettes, jonquilles, coquelicots, gentianes, coucou, violette, marguerite… faisaient partie du décor. Aujourd'hui, on ne part plus en pique-nique, ou si peu, parce que le terrorisme est passé par là et a laissé ses traces dans les habitudes des Algériens qui doivent réapprendre à sortir, à vivre au contact de la nature, en bonne harmonie… Mais encore faudrait-il qu'ils aient les moyens et le cadre idoine. A l'insécurité s'est ajoutée la dégradation du pouvoir d'achat et de la qualité de la vie qui a amené les citoyens à ne se soucier que du strict nécessaire et ne sacrifier qu'au vital. Et dans cet ersatz de vie, il y a peu de place pour le romantisme, le beau et la féerie qui passent pour un luxe dont on peut, on doit, se passer. «Cent fois on effeuilla la marguerite et cent fois on tomba sur ‘‘pas du tout''», chantait fort à propos Brassens. Il était donc tout naturel que la fleur soit exclue, d'autant plus qu'on pouvait, si nécessaire, la remplacer par sa copie en plastique et tissu qui est si conforme qu'on la dirait vraie. On a même réussi à lui donner des senteurs. De plus, elle a l'avantage d'être moins chère et de durer plus longtemps. D'ailleurs, bouquets et corbeilles se vendent comme des petits pains. Les fleurs synthétiques ont la cote. Comble de l'ironie, on les trouve même chez certains vendeurs de fleurs -on ne peut leur accorder le titre de fleuriste- côtoyant celles qu'elles concurrencent. Elles décorent les maisons et les voitures des mariées. Mais on n'ose pas aller jusqu'à les offrir. Personne ne peut s'imaginer arriver à une fête ou rendre visite à une amie avec un bouquet de fleurs en plastique. C'est ce qui a sauvé la mise pour les fleurs naturelles, même si le choix n'est pas très grand et que les prix sont toujours décourageants. Aux côtés de l'indétrônable rose, on peut trouver la tulipe, le narcisse, le lis, l'œillet, les graminées, et même le chrysanthème ! Selon Farid, propriétaire d'un commerce de fleurs à la place du 1er Mai à Alger, cité par l'APS, la préférence des Algérois va, dans l'ensemble, au «bouquet distinctif», celui réservé, par exemple, à la célébration de fiançailles ne devant aucunement ressembler à celui que l'on destine à une visite familiale ou amicale ordinaire. «Le bouquet des fiançailles est généralement composé de bakra [fleur rouge] en plus des fleurs de lis de couleur rose, alors que les bouquets achetés pour des circonstances de moindre importance, comme la naissance ou la réussite aux examens, ont une composante plus variée et moins recherchée», explique ce jeune fleuriste de 30 ans qui a hérité le métier de son père. Côté décoration, ajoute-t-il, la corbeille des fiançailles est généralement ornée avec des tiges vertes qui donnent une densité à l'emballage et le rendent plus présentable. Reste un problème : l'insuffisance des pépinières locales qui oblige les vendeurs à acheter les fleurs importées, ce qui se répercute sur le prix et, par conséquent, sur les ventes. Mais, pour Reda, propriétaire d'une pépinière de fleurs à Birkhadem, le prix n'est pas la seule raison de la faiblesse des ventes. La culture florale des Algériens, selon lui, se limite généralement aux occasions heureuses. Il doute qu'en Algérie «on puisse aimer les roses pour les roses». Pour M. Hamani, ingénieur en agronomie et propriétaire d'une pépinière de fleurs, la profession de producteur de fleurs souffre encore de nombreux écueils qui empêchent son développement, dont les facteurs climatiques défavorables et les maladies qui touchent les plantes. S'ajoutent à ces facteurs les problèmes de financement, l'insuffisance et/ou la cherté des serres en verre ou plastique, le coût des engrais et des produits phytosanitaires et le manque de main-d'œuvre qualifiée, ce qui a un impact sur la qualité, la disponibilité et le coût des fleurs produites localement. C'est la porte ouverte aux fleurs d'importation qui nous viennent d'Asie, d'Espagne, des Pays-Bas ou encore du Maroc voisin. De plus, ajoutera ce spécialiste, en l'absence de centres de formation dans le domaine floral, la plupart des fleuristes se forment sur le tas et héritent souvent du métier de leurs parents, sans véritables connaissances des fleurs, de leurs symboliques (d'où les chrysanthèmes côtoyant des roses), des notions d'esthétique, du mariage des couleurs… Cette méconnaissance du métier se reflète d'ailleurs dans la présentation des fleurs et la confection des bouquets.