Photo : Riad De notre envoyée spéciale à El Ouenza (Tébessa) Karima Mokrani La mine d'El Ouenza offre une attitude gracieuse. Elle est généreuse. D'une générosité qui n'a d'égale que les tonnes de fer dont elle gratifie chaque jour ses visiteurs. Son gîte est intarissable. C'est à la fois le plus riche et le plus important gisement de fer en exploitation en Algérie, depuis 1921. Les engins, eux aussi, travaillent dans la sérénité comme pour ne pas provoquer la colère des pierres robustes. Le bruit des moteurs se perd sous un ciel assombri par une poussière épaisse de silice. Une entente parfaite se dégage des mouvements des machines qui se répètent chaque fois de la même façon. Sans se lasser. «L'entreprise a beaucoup investi dans l'acquisition d'un matériel neuf et solide. Pour ce qui est des anciennes machines, la plupart ont été rénovées ou sont en cours de rénovation», affirme un conducteur. L'homme est jusque-là invisible. Il ne quitte presque pas sa locomotive, tout comme ses collègues qui travaillent pourtant dur sous un soleil de plomb. Ces hommes qui finissent par avoir la même couleur que celle du sol, que leurs machines écrasent de toutes leurs forces, retrouvent quelque plaisir à travailler encore dans la mine d'El Ouenza. Il y a quelques années seulement, ils ne cessaient de dénoncer les mauvaises conditions de travail et de leur vie. «Ce n'est pas la joie mais ça va beaucoup mieux. Les conditions de travail se sont nettement améliorées. Nos salaires ont augmenté quoique les augmentations restent insuffisantes ; les engins ne nous fatiguent pas beaucoup…», raconte un mineur. Le soleil est brûlant et la poussière se faufile jusqu'à s'incruster dans les poumons. «Nous nous y sommes habitués. Avons-nous d'autre choix ? C'est notre seul gagne-pain», poursuit notre interlocuteur, esquissant un sourire qui cache mal sa détresse de tous les jours. «Notre grand problème, c'est cette poussière qui s'introduit dans nos poumons pour nous tuer à petit feu, nous et nos enfants», se plaint un ancien employé de la mine. La silicose, cette maladie silencieuse dont parle cet ouvrier, est reconnue comme maladie professionnelle. L'entreprise Arcelor Mittal -qui gère la mine d'El Ouenza- a pourtant mis à la disposition de ses employés des masques protecteurs contre la silice, la matière qui s'attaque aux poumons. Mais, comme nous l'avons constaté de visu, ce ne sont pas tous les mineurs qui pensent à en faire usage. «Ils ne m'ont pas donné de masque» proteste un ouvrier, les traits du visage creusés par la fatigue et l'ennui. L'homme est dans une pièce noire qu'aucun rayon de soleil n'atteint. Il est au centre d'une grande machine, avec de gros tuyaux, couverts de quantités de poussière, à quelque trente mètres au sous-sol. Remettre à neuf les équipements La machine fait entendre un bruit aigu. Désagréable. A longueur de journée. Et pourtant ! Le travailleur de la mine résiste, tout comme son collègue. Ils sont payés pour surveiller le fonctionnement de cette machine. Les deux hommes ne cachent pas leur dégoût : «C'est intolérable.» Aucun sourire. Aucune satisfaction. Deux regards tristes qui semblent vouloir appeler à l'aide : «Sortez-nous de ce trou !» Mais où aller ? Trouver une place dans cette mine est presque une providence. «Il n'y a pas de travail ici à El Ouenza», dit un autre qui se joint provisoirement au groupe. Et ce dernier de témoigner de la souffrance de ses deux camarades : «Ils montent et descendent une vingtaine de fois par jour, à la recherche de quelque lueur de soleil.» «Nous leur avons donné à tous des masques protecteurs et nous leur avons expliqué comment et pourquoi les utiliser. Certains n'en veulent pas. Ils disent que ces masques les dérangent lorsqu'ils travaillent. Nous ne pouvons pas les y obliger», réplique un responsable de la sécurité. Ce responsable assure que l'entreprise Arcelor Mittal, le groupe sidérurgique numéro un mondial (320 000 salariés dans plus de 20 pays et une présence industrielle dans 27 autres) a mis en place un ambitieux plan d'action pour redonner un nouveau souffle à l'exploitation de la mine après que cette dernière eut failli fermer. Les mineurs se rappellent les derniers jours d'un épisode qui annonçait la fin d'une industrie minière. «La fermeture de la mine était imminente. Les machines ne fonctionnaient presque pas. Elles étaient toutes défectueuses. Et nous, les travailleurs, nous percevions nos salaires un mois sur deux ou sur trois…». L'entreprise Ferphos (Entreprise nationale du fer et du phosphate) qui s'est substituée à la Sonarem (Société nationale de recherche et d'exploitation minières qui gérait la mine) par décret N° 83-441 du 16 juillet 1983, allait mettre la clé sous le paillasson. Elle n'avait plus les financements nécessaires pour la bonne exploitation de la mine et encore moins pour la recherche. Les travailleurs en avaient ras-le-bol d'une situation qui ne faisait qu'empirer. El Ouenza allait perdre sa mine. L'Algérie en perdrait un important gisement de fer. Toute une industrie allait disparaître, alors que le gisement regorgeait de nouvelles ressources. En 2001, l'entreprise Ferphos signe une convention de partenariat avec le groupe indien Ispat, spécialisé dans les mines et l'acier. Ispat, devenu aujourd'hui Arcelor Mittal, est actionnaire majoritaire à hauteur de 70%. L'exploitation du gisement d'El Ouenza reprend de plus belle, à un rythme soutenu, favorisé par l'acquisition de nouveaux engins et la rénovation ou la récupération de ceux qui étaient défectueux. Tout est remis en marche : pelles géantes, chargeuses, sondeuses, bulles à pneu, etc. Un investissement dans lequel s'est aussi engagée la partie algérienne, avec ses propres moyens. «Nous aussi, nous sommes capables de réaliser des merveilles et avec peu de choses», lance un homme, responsable dans une entreprise privée appelée «ETP EL Aïchaoui Hicham». Une entreprise qui a réussi à remettre en marche la pelle PH 1600 de chargement, mise aux oubliettes durant plus de six ans. L'homme est fier de la réalisation de son équipe : «C'est un bijou !». Aussi, insiste le responsable de la sécurité, l'entreprise Arcelor Mittal a-t-elle investi dans le matériel de sécurité (souliers, gants… et masques). El Ouenza… El Mina Les habitants d'El Ouenza, actuels et anciens, ne parlent pas de la ville sans évoquer «El Mina», la mine. «La Sonarem», l'entreprise qui gérait la mine. «El Ouenza, c'est El Mina. C'est la Sonarem… Ce sont ces travailleurs de la mine et leurs familles qui se sont installés autour du gisement», témoignent deux anciens habitants. Les deux hommes regrettent le départ de nombre de ces travailleurs, faisant perdre à la ville l'une de ses particularités majeures : «Ces travailleurs et leurs familles venaient de différentes régions du pays et même des deux pays voisins, le Maroc et la Tunisie. Leur diversité a donné un aspect particulier à notre ville. Beaucoup d'entre eux sont malheureusement repartis dans leurs villes d'origine, après la retraite.» La poussière qui pollue l'atmosphère de la ville, chaque jour davantage, n'est pas pour décider ces anciens travailleurs et leurs familles à y demeurer. Encore moins les conditions de vie, de plus en plus difficiles, dans cet ancien faubourg oublié des Algériens et des Français. «Il y a trop de poussière. Nous souffrons tous de problèmes respiratoires», affirme encore un jeune de la cité du 6 Mai 1966. Une date qui a vu la nationalisation des mines par feu le président Houari Boumediène. «La poussière couvre nos maisons, nos balcons, nos meubles… et même nos vêtements… », s'inquiète une jeune fille, frustrée de ne pouvoir s'habiller en blanc, sa couleur préférée. Consciente de ce problème qui n'en handicape pas moins le fonctionnement de l'entreprise –les associations de protection de l'environnement dénoncent les atteintes à l'environnement- Arcelor Mittal a pensé à engager un sous-traitant pour un arrosage quotidien des huit chantiers de la mine. «Ça donne des résultats mais ça reste insuffisant», estiment des habitants de la cité. L'entreprise s'est aussi engagée avec un autre prestataire pour l'entretien des arbres autour de la mine. Le projet semble être tombé à l'eau. «Le prestataire n'a pas respecté ses engagements», confie le responsable de la sécurité. En attendant que les choses se règlent, une association se bat pour qu'un ambitieux projet de plantation d'arbres, dont «les études ont été achevées et le budget arrêté», se réalise dans les plus brefs délais. K. M. 5 voyages quotidiens pour le transport du minerai de fer à Annaba Le gisement d'El Ouenza se situe dans le djbel Ouenza, à proximité de la frontière algéro-tunisienne, à 90 km du chef-lieu de la wilaya de Tébessa. Le gisement s'étend sur une longueur de 5 km dont l'exploitation a engendré sa division en huit chantiers. Le minerai de fer est transporté par voie ferrée au complexe sidérurgique d'El Hadjar (Annaba), à quelque 120 km de la mine. Le transport de ce fer est assuré par un train de 25 wagons, de 60 tonnes chacun, à raison de cinq voyages par jour.