Photo : Riad De notre correspondant à Tizi Ouzou Lakhdar Siad Au lieu de progresser, la wilaya de Tizi Ouzou fait mine au mieux de rattraper les retards accumulés en matière de développement économique et social et, au pire, fait des projections pour occulter la réalité de la vie des secteurs importants de développement. Petit exemple de «prévision» officielle : début 2009, on réaffirme la volonté de mettre en œuvre durant le plan quinquennal 2009-2013 les actions de développement inscrites pour le quinquennal précédent (1999-2008). Autre exemple qui résume à lui seul toute la cadence incroyablement faible qui domine les programmes de développement de la région de Kabylie : la ligne ferroviaire qui devait relier Tizi Ouzou à Oued Aissi, longue de seulement 14 kilomètres, commencée en 1993-1994 sera enfin livrée mais partiellement encore le 28 juin prochain, selon une énième date de réception fixée par les autorités. La semaine dernière a eu lieu sa «mise en service expérimentale» par le ministre des Transports, Amar Tou. Des structures essentielles de cette ligne ne seront pas livrées dans l'immédiat comme la halte du campus universitaire d'Oued Aïssi et celle du terminus actuel. D'autres indices graves confortent ce constat qui ne semble pas inquiéter les responsables : la wilaya de Tizi Ouzou avec 1 119 646 habitants, (RGPH 2008) détient le taux de natalité le plus faible en Algérie qui est de seize fois moins que celui qui prévaut à l'échelle du pays, (le nombre d'écoles primaires fermées depuis quelques années donne une idée de l'ampleur de la dénatalité), un taux de chômage qui avoisinerait ou dépasserait les 60% dans des localités les plus pauvres, l'exode des cadres et jeunes chômeurs vers le sud et l'ouest du pays à la recherche d'un emploi quand l'Europe ou les Amériques leur sont inaccessibles, le nombre très élevé de suicides, la violence en vogue et en mode de règlement des conflits politiques et sociaux etc. Et on se permet même de ne pas consommer les budgets alloués. La wilaya de Tizi-Ouzou a bénéficié pour le programme quinquennal de 1999-2008 de 252 milliards de dinars et de 232 milliards de dinars pour le plan de développement de 2010-2014. Elle n'aurait consommé que 17 milliards de dinars de son budget global de 50 milliards de dinars, l'équivalent de 57%, d'après des chiffres officiels. Le Premier ministre, Ahmed Ouyahia, avait attribué fin 2008 les retards dans le domaine économique en Kabylie aux sanglants événements du «printemps noir», à la situation sécuritaire incertaine dans la région et à la nature privée de la majorité des biens fonciers. Il y a aussi les «chiffres» et les «contraintes» pour expliquer tout et rien. On pourrait citer le plus récent dans la bouche des responsables locaux : «l'outil de réalisation», c'est-à-dire le manque d'entreprises qualifiées à même de réaliser les actions demandées. «La wilaya de Tizi Ouzou ne dispose pas de l'outil de réalisation pour concrétiser les programmes de développement», déclarait le wali à ce sujet. Sinon voici le bric-à-brac des prétextes des autorités quand il s'agit de dire pourquoi la Kabylie est dangereusement à la traîne du développement à tous les niveaux : la contrainte foncière avec «le caractère quasi hégémonique de la nature privée de la propriété foncière aggravé par son morcellement excessif, son indivision et l'absence de titre de propriété». Dans cette situation, on recourt à la procédure d'expropriation pour cause d'utilité publique. Cependant, celle-ci générerait des surcoûts aux projets quand elle aboutit. Le «phénomène d'opposition systématique des propriétaires» pousserait les pouvoirs publics à la délocalisation des projets vers d'autres localités disposant d'assiettes foncières «engendrant des disparités de développement entre les localités de la wilaya en matière d'équipements et d'infrastructures nonobstant les retards dans la réalisation», selon les responsables locaux. On ne pourrait s'empêcher de rappeler que quand on occupe un poste de responsabilité, chacun est payé pour trouver des solutions rapides au bénéfice de la collectivité sinon laisser la place aux autres est aussi un geste de responsabilité et d'éthique politique. Quant à dire qu'il y a «disparités» de développement entre les localités de Kabylie, c'est vraiment ne rien connaître du degré de dislocation socio-économique de l'ensemble des 67 communes de la wilaya Tizi Ouzou et de toute la Kabylie. On dénombre aussi les contraintes du cadastre général (12 communes seraient partiellement cadastrées sur les 67 que compte la wilaya), le relief accidenté, l'éparpillement des villages, une forte densité de 442 h/km⊃2;, l'insuffisance des moyens d'études et de réalisation et l'absence de maîtrise des études qui influe, négativement, sur le coût des projets. La durée des réalisations, la qualité ainsi que les impacts sur la population figurent également parmi les contraintes liées à la maîtrise d'œuvre (absence de BET pluridisciplinaires capables de «maturer» les études dans les délais raisonnables, d'assurer un suivi des projets pour obtenir une qualité architecturale et fonctionnelle appréciable. Le manque de BET de cette envergure a contraint les maîtres de l'ouvrage à s'impliquer dans les missions relevant réglementairement de la maîtrise d'œuvre, absence de BET d'engineering chargé de faire aboutir les dossiers techniques sous la responsabilité du maître d'œuvre représenté par l'architecte ; les contraintes liées aux approvisionnements en matériaux (insuffisance de carrières et difficultés de leur implantation en dépit des potentialités que recèle la wilaya, absence de points d'approvisionnement centraux des autres matériaux de construction pour réduire les coûts de transports, insuffisance de PME/PMI spécialisées dans la production et la commercialisation , des matériaux de construction etc. Qui sauvera alors la Kabylie du chaos socio-économique ? Celui qui saura dépasser les «contraintes» ou celui qui aura la volonté politique ?