Photo : Riad De notre correspondant à Tizi Ouzou Lakhdar Siad C'est le désert livresque à Tizi Ouzou, pourtant cœur d'une région qui a donné des écrivains, des artistes et des intellectuels de talent. La prédominance idéologique sur l'aspect scientifique et pédagogique dans le système éducatif et l'orientation scolaire mise en place par le parti unique dès le cessez-le-feu, en 1962, ont empêché le renouvellement et le remplacement surtout au plan qualitatif des sphères de production intellectuelle mettant ainsi tout un peuple en grave danger de pauvreté de producteurs d'idées. Il n'y a pas longtemps, personne ne pouvait imaginer ici en Kabylie que le chef-lieu de wilaya ne posséderait pas de bibliothèque communale ni d'espace de lecture digne de ce nom ; un chef-lieu de wilaya qu'on pourrait aisément classer bon dernier du moins parmi les plus pauvres en matière d'infrastructures dans tous les domaines et secteurs d'activité à l'échelle de tout le pays alors que ses compétences humaines sont certifiées et ses potentiels matériels et dispositions géographiques n'ont rien à envier aux critères rudimentaires de développement requis dans les autres wilayas qui connaissent un certain essor «urbanistique». On n'a pas vu en Algérie plus pauvre que la wilaya de Tizi Ouzou en matière d'édifices publics ! Très rares et inadéquats sont les endroits dédiés à la lecture pour un semblant de ville universitaire de près de trente mille étudiants sans compter les lycéens et les collégiens qui fréquentent en nombre très élevé les établissements de Tizi Ouzou. Comme ultime solution à leur demande, les étudiants se bousculent, s'arrachent des places et s'entassent dans la «bibliothèque centrale» qui accueille toute la communauté universitaire. La minuscule bibliothèque de la wilaya (cité administrative) demeure inconnue du public lecteur, et celle de la maison de la culture Mouloud Mammeri, assiégée par les inscriptions dès les rentrées scolaire et universitaire, ne répond pas aux exigences. La situation est telle que les autorités locales dans un élan (réel ou feint ?) de rattraper l'incroyable retard dans le domaine ont lancé une opération dite «une commune, une bibliothèque et une crèche» qui se concrétisera à la fin de cette année. Sans insister sur le retard, devenu systématique dans tous les projets, grands ou petits de la wilaya de Tizi Ouzou, que prendra la réception de ces structures dans la majorité des 67 communes de la wilaya, la population est en droit de s'interroger sur les visées de cette politique de désertification livresque menée en Kabylie depuis des décennies. Pour la durée du retard (c'est ce qu'il convient d'écrire dans pareille situation), rappelons que le projet de bibliothèque communale de Maatka, au sud de Tizi Ouzou, remonte à 1999. A ce jour, aucun amateur de livres de la localité n'a eu l'honneur de lire ou d'emprunter un livre. Pourquoi ? Le projet continue toujours de s'appeler projet. Alors, combien d'années faudra-t-il pour construire 67 petites bibliothèques ? Devant cet abandon et ce grave désengagement du rôle et des devoirs de l'autorité publique envers la collectivité, des initiatives bénévoles ont été prises par des associations de Kabyles basées en Europe, en France plus particulièrement, pour l'acheminement de lots de livres vers des locaux aménagés en bibliothèques dans les villages de la région. C'est le cas de l'association «Un livre, une vie» qui a alimenté un nombre appréciable de bibliothèques situées pour la plupart dans les communes de la Kabylie maritime. L'association culturelle «Tussna» (le savoir) de Aïn El Hammam a aussi pris sur elle de redonner le goût de la lecture à la population à travers une campagne de sensibilisation au livre. Mais des associations ou des initiatives, si encourageantes soient-elles ne peuvent remplacer un Etat. Un Etat absent pour le moment.