Le 11 juin 1957, des parachutistes de l'armée coloniale française enlèvent Maurice Audin. De son domicile rue Gustave-Flaubert à Alger, le chahid Maurice est emmené devant sa femme, Josette, et ses trois enfants, Michèle, trois ans, Louis, 18 mois, et Pierre, un mois. «S'il est raisonnable, il sera là dans une heure», annonçait l'un des ravisseurs à son épouse. Il sera étranglé au centre de tri de Bouzaréah (1e RCP), le 21 juin 1957, par le lieutenant Charbonnier, officier de renseignement servant sous les ordres du sanguinaire général Massu, après avoir subi «la torture institutionnalisée» en Algérie par l'armée française. Le crime sera maquillé en «évasion au cours d'un transfert». La veuve Audin et les proches du martyr réfutent cette version. Dès juillet 1957, une certaine presse commence à évoquer «l'affaire Audin» suite à la plainte contre X pour homicide déposée par madame Josette Audin. Qui était Maurice Audin ? Un jeune militant de la cause anticolonialiste. Membre du Parti communiste algérien (PCA), il embrassa la cause du FLN pour l'indépendance de l'Algérie. A 25 ans, il payera de sa vie le prix de son engagement. Mais Maurice Audin est plus qu'un sacrifié sur l'autel de la liberté. La simple prononciation de ce nom met en évidence un fait historique glorieux pour les uns et infâme pour d'autres. Un Algérien d'origine européenne, mathématicien prometteur et assistant de mathématiques à la faculté d'Alger, son engagement pour la liberté et la justice a dérangé le colonisateur et sa mort continue de gêner la France d'hier et d'aujourd'hui. Maurice Audin est l'élément déclencheur qui a mis en évidence l'«institutionnalisation de la torture» durant la guerre d'Algérie. «Il était souriant, affable. Il avait une capacité d'écoute extraordinaire, mon prof de maths», témoignait hier son élève Mohamed Rebah, historien, au forum d'El Moudjahid dédié à la mémoire du chahid Audin à l'initiative de l'association «Machal Echahid». L'auteur Des chemins et des hommes revient sur l'histoire d'Audin dans une salle pleine où figuraient d'anciens moudjahidine, dont Mme Zohra Drif-Bitat. «Maurice Audin est un Algérien à part entière. Il a accompli son devoir au même titre qu'Ali la pointe et Ben M'hidi. C'est un sang algérien», déclare cette dernière qui dénonce une écriture «maladroite» de l'histoire. «La révolution algérienne était une révolution moderne, ouverte. Les critères raciaux ou de confession n'avaient pas d'importance. Seul l'idéal et les valeurs comptaient», poursuit-elle. Arrivé directement de l'aéroport d'Alger, le secrétaire général du comité Maurice Audin, M. Gérard Tronnel, est invité à intervenir. «Le combat pour la mémoire de Maurice Audin en France est dur. S'il est un héros ici en Algérie, beaucoup de Français considèrent les gens comme lui comme des traîtres», s'offusque-t-il. «Mais on résiste. Le 22 juillet prochain, un square à Argenteuil, où enseigne sa veuve et ont grandi ses enfants, portera son nom et une stèle à sa mémoire sera érigée», poursuit Gérard Tronnel. Le 19 juin 2007, Mme Josette Audin envoyait une lettre ouverte au président français, lui demandant de reconnaître le crime commis contre son mari et la levée du secret par l'ouverture des archives. Elle n'aura aucune réponse. Quelques années plus tard, (1er janvier 2009) Michèle Audin, la fille aînée du chahid, refuse le grade de chevalier de la Légion d'honneur pour sa contribution à la recherche fondamentale en mathématiques et à la popularisation, dénonçant l'absence de réponse. A quelques semaines de la polémique née du film Hors-la-loi, reprenant dans une de ses séquences le massacre du 8 mai 1945, décrié par une bonne partie des nostalgiques de l'Algérie française avec l'appui d'hommes politiques, un autre souvenir met à mal la thèse sur les bienfaits de la colonisation. Aujourd'hui, une des principales places de la capitale algérienne porte le nom de Maurice Audin (depuis la veille du premier anniversaire de l'indépendance, le 4 juillet 1963). Mais de l'autre côté de la Méditerranée, «le combat est dur. Josette est en train de baisser les bras», conclut Gérard Tronnel. S. A.