Photo : M. Hacène Par Karima Mokrani Au moment où des centaines de milliers de familles vivent dans l'exiguïté et souffrent d'autres problèmes liés aux difficultés d'accès à une habitation décente, 600 logements sociaux sont abandonnés à Baraki, dans la banlieue est d'Alger. Plus précisément au lieudit «Cité El Merdja», à quelques mètres seulement de la grande «Cité 2004». Un chantier lancé en 1987 à l'arrêt Les habitants de la commune crient leur colère contre le laisser-aller des autorités publiques qui ferment l'œil sur l'occupation du chantier par des jeunes toxicomanes, encourageant ainsi la délinquance juvénile et favorisant la violence sociale. Et pourtant ! la construction des 600 logements est réalisée à près de 80%. Il ne reste que les travaux de finition (peinture, carrelage, portes et fenêtres…) pour pouvoir les livrer aux familles qui y ouvrent droit. Peine perdue. Ces familles attendent depuis plus de 20 ans. «C'est un projet qui a été lancé en 1987», raconte un riverain. Et ce dernier de dire sa désolation de voir le chantier se transformer en dépotoir : «C'est devenu une décharge publique. Un vrai dépotoir. Je ne comprends pas pourquoi les autorités publiques laissent faire et n'interviennent pas pour permettre une reprise effective des travaux. Ce sont 600 familles à sauver. Il y a aussi ces locaux commerciaux qui pourraient profiter à de nombreux jeunes et donc à de nombreuses familles.» Des policiers de passage sur la route parallèle au chantier affirment : «C'est le fief des toxicomanes.» «Drôle de commentaire», réplique l'homme qui s'insurge contre le fait que ces policiers ne font rien pour changer les choses : «Ils disent que c'est le fief mais ne font rien pour empêcher les jeunes de s'adonner à cette activité odieuse…». Un adolescent d'à peine 13 ans est assis dans un coin du chantier, en compagnie de deux autres garçons, un peu plus jeunes. «Nous ne craignons rien. Ce sont des gens du quartier (ouled el houma). Nous nous connaissons entre nous», affirme-t-il. «Ils viennent généralement à partir de 22 heures. Il faut voir combien ils sont nombreux les jeudis soirs», raconte-t-il, content de pouvoir témoigner de ce qui se passe la nuit dans ces endroits oubliés de tous. «Ils prennent de l'alcool, de la drogue, jouent aux dominos et aux cartes… parfois ils s'amusent bien entre eux, parfois ils se bagarrent pour des choses sans importance. Dernièrement, ils ont tué un jeune de 25 ans. C'était un repris de justice. Il vendait de la drogue. Celui qui l'a tué est aussi un repris de justice. C'est en prison qu'il l'a menacé de le tuer et il a exécuté sa menace», poursuit-il. Son camarade insiste pour montrer un endroit caché du chantier où vit une jeune fille d'une vingtaine d'années : «Elle n'est pas là mais il y a sa literie. Elle sort la journée mais revient la nuit. Elle n'est pas d'Alger.» Le projet abandonné depuis des années L'endroit n'est pas sécurisé et s'y aventurer pourrait s'avérer fatal. Le gamin poursuit son récit : «La jeune fille vit seule mais personne ne s'en prend à elle. Les jeunes ne sont pas dangereux…» Ne le sont-ils pas pour ces bambins qui semblent admirer leurs mouvements nocturnes ? «Jamais je ne touche à la drogue. Ma mère me mettrait dehors et mon père me tuerait», dit l'enfant. Ce qui n'est pas évident si l'on en juge par la démission des parents en ces temps difficiles. «Les parents sont démissionnaires et les enseignants aussi. Nos enfants ne sont pas protégés. Ils ont beau affirmer qu'ils sont suivis par leurs parents, la réalité du terrain témoigne du contraire. La preuve, c'est qu'ils sont là, au milieu des ordures, alors qu'ils devraient être à l'école», réplique un homme d'un certain âge. Le chantier est à l'arrêt et cela depuis plusieurs années. A force d'en parler sans trouver un écho favorable auprès des concernés, les habitants ont fini par l'oublier. Du moins, ils feignent de l'oublier. «De toutes les façons, ça ne sert à rien. Chacun s'occupe de sa petite personne», estime un autre habitant. Selon les témoignages recueillis sur place, les 600 logements étaient construits par l'ex-DNC. Certains appartements ont été achevés à 100% et étaient même décorés à l'intérieur. «Ils ont tout saccagé. Ils ont pris les portes, les fenêtres, les câbles électriques…» raconte l'homme. Selon ses dires, l'entreprise chargée de la construction avait abandonné le chantier suite à des problèmes financiers. Puis, il y avait le terrorisme. Mais après cela, rien n'a été fait pour reprendre les travaux. Des riverains racontent que l'EPLF de Chlef a fait un état des lieux pour une éventuelle reprise des travaux : «Les représentants de l'entreprise ne sont jamais revenus. Entre-temps, des citoyens ont squatté quelques logements mais ils ont été chassés par les forces de l'ordre.» Aucune autre information. «Personne ne sait ce qu'il adviendra du projet. Ce qui est sûr, c'est qu'il est devenu le lieu de prédilection de tous les voyous de la commune et d'ailleurs», insistent des riverains, non sans affirmer leurs craintes pour leurs enfants. Une famille dans la rue Suite à un problème d'héritage, une famille de 8 personnes s'est retrouvée à la rue. Elle est là, à quelques centaines de mètres de la «Cité 600 logements». La famille occupe un abri de fortune, fait de matières hétéroclites, dont des morceaux de bâche et de plastique. «Nous vivons l'enfer depuis quatre ans. En été, la chaleur est insupportable et, pendant l'hiver, les eaux de pluie inondent toute la tente», raconte la mère. Pis, la famille vit avec les rongeurs : «Les rats se baladent sur nos couvertures pendant que nous dormons. Ils m'ont mordue, moi, mon frère et mon père», raconte l'une des filles, en montrant une ordonnance médicale. «J'ai fait plusieurs injections», poursuit-elle. L'odeur des égouts est très proche de cette maison faite avec les moyens du bord. «Nous n'avons pas le choix. Les autorités de daïra ont promis de nous reloger mais nous ne voyons rien venir», rapporte la mère. Toujours est-il que des logements attendent d'être finis et livrés mais cela traîne encore. Seuls les propriétaires, en l'occurrence les autorités publiques, en connaissent les raisons. Peut-être qu'ils sont déjà destinés à d'autres.