Pour treize places sur la dernière ligne droite du Mondial de football pour le vieux continent et seulement cinq pour celui sud-américain (Chili, Paraguay, Uruguay, Brésil et Argentine), rares seront ceux qui n'auraient pas parié sur la présence de beaucoup de formations venues de ce dernier, berceau du football spectacle mais qui ne tient plus la route que grâce au seul Brésil, nation régulièrement présente depuis la création de l'événement. Même si les élections représentatives de ce pays alternent le bon et le moins bon, et ce, depuis 1970. Faut-il d'ailleurs le rappeler et le souligner, plus le moins bon. En général, le continent sud-américain brillera, au cours des dix dernières éditions, par intermittence sans que ses formations ne soient trop flamboyantes et parfois elles verseront même dans le ridicule (le Brésil en 1974, l'Argentine en 1994). Et pourtant, quand lors des quarts de finale du Mondial sud-africain, Uruguay, Argentine et Brésil étaient encore là, l'ensemble des professionnels de la presse, les techniciens, leurs adversaires considéraient d'ores et déjà que le trophée sera soulevé par la formation de l'un de ces pays et très certainement le Brésil qui semblait fonctionner comme un métronome et; il était imprenable, donnant l'impression de s'adapter à tous les types de football et ses spécificités. L'Uruguay restait tout simplement une équipe sympathique mais tellement régulière et simple, voire simpliste dans sa manière d'évoluer que tout était envisageable. Quant à l'Argentine, fantasque comme à son habitude, elle présentait tous les indicateurs annonçant son élimination précoce pour la simple raison que l'équipe de Maradona n'était jamais arrivée à convaincre, sauf que le football n'étant pas une science exacte et vu l'audace, l'imprévision, la spontanéité, l'intelligence de ses joueurs et le génie entre angélisme et machiavélisme de son coach, tout restait possible. Toutefois, exception faite de l'Uruguay que finalement nul n'attendait à ce stade de la compétition et pour cause son absence depuis cinquante années et la modicité de sa composante, les deux autres géants sortiront sans gloire et pis pour l'un (l'Argentine) par la plus petite des portes. Maradona avait justifié la santé des équipes sud-américaines par la qualité et le caractère très relevé des compétitions qui se déroulaient dans cette partie du monde, plastronnant sur le fait qu'ils «n'affrontent pas des équipes comme les îles Féroé lors des éliminatoires». Mais il sera très vite pris de court par une déculottée de 4-0 face aux jeunes loups de Löw. Le Brésil ne pèsera pas pour sa part devant des Hollandais très réalistes qui profiteront de la suffisance de leurs adversaires et du mépris qu'ils semblaient avoir eu tout au long du premier tour pour la Côte d'Ivoire, le Portugal et les Coréens. Preuve était donnée au cours des deux quarts de finale d'où ont été éjectés les deux ténors (Argentine et Brésil) que deux grands joueurs ne font pas forcément deux grands entraîneurs : Dunga et Maradona. A contrario un Del Bosque ou un Löw qui n'ont jamais fait chavirer les foules, et dont la carrière footballistique était à la limite de l'anonymat, du moins pour le technicien allemand, ont trouvé toutes les pistes pour terminer à la troisième place pour l'un et soulever le Graal pour l'autre. Si la rigueur allemande est proverbiale et il n'est d'ailleurs pas étonnant de voir dans la compétition régulièrement présents les Teutons et majoritairement dans le dernier carré, il en est de même pour les Espagnols qui ont, encore mieux, appris à gérer cette rigueur en la mariant à une technique phénoménale, une spontanéité dans le geste et un art dans la conservation du ballon. Les deux formations ont également l'avantage d'être structurées autour d'éléments issus des formations les plus en vue de leur pays (FC Barcelone et Réal Madrid) et un savant dosage entre le Bayern Munich (majoritairement), Hambourg, Leverkusen et Stuttgart pour garder intacts les automatismes entre des footballeurs qui se retrouveraient sur un terrain même en jouant en aveugle. Ce qui n'est pas le cas des joueurs sud-américains qui évoluent dans leur presque intégralité dans des championnats européens où ils en arrivent même à perdre leur authenticité, leur talent naturel et n'escomptant que leur valeur individuelle intrinsèque pour peser sur le cours des rencontres. Ce qui n'a jamais été évident et la réalité est là pour le confirmer. En plus clair, il y a eu une véritable perversion de leur art en l'espèce. Johann Cruyff a superbement résumé la situation en affirmant qu'il n'achèterait pas un billet de stade pour aller voir «ce Brésil». A. L.