De notre correspondant à Tizi Ouzou Lakhdar Siad La misère est si apparente dans les localités de la région de Kabylie que l'on n'a pas réellement besoin d'outils scientifiques ou autres analyses et études sociologiques pour l'identifier et la mesurer. Les effets de la dégradation des conditions de vie de la majorité des populations de cette région sont repris quotidiennement dans beaucoup de rubriques de la presse : suicide, violence urbaine, drogue et prostitution, délinquance juvénile, banditisme, émeute, taux de chômage dépassant les 70% dans la plupart des cités si ce n'est dans l'écrasante majorité des communes, émigration clandestine, école fermée, fuite des cadres universitaires et de la main-d'œuvre qualifiée vers d'autres villes du pays, etc. Sachant aussi que les autorités chargées de lutter contre ces fléaux, qui menacent dangereusement ces populations anéanties socialement, sont au courant de cette situation, il est peu probable que les mécanismes, mis en place par l'Etat, soient pris au sérieux par les couches défavorisées qui attendent depuis des lustres des solutions concrètes à leurs problèmes réels. Quand l'administration tourne le dos aux citoyens «Croyez-vous que les services de l'Etat au niveau de la wilaya, des daïras et des communes ne sont pas au courant de nos problèmes ? Tous les responsables des structures de solidarité sociale et celles de l'économie et de création d'emploi, savent depuis toujours ce qu'endurent les pauvres habitants de nos contrées, mais au lieu de faire quelque chose dans le sens du développement des communes, ils s'attardent conjoncturellement sur des actions presque inutiles et inefficaces de solidarité», affirme un médecin affecté à une cellule de proximité et de solidarité dans la wilaya de Tizi Ouzou. Pour lui, il ne s'agit pas de «quantifier pour quantifier» les problèmes sociaux de la population. «Ça ne sert à rien de faire à occasion des tournées dans les villages et quartiers à la recherche de chiffres et de notes sur la misère, si des solutions ne suivent pas, si des recommandations ne sont pas transformées en chantier ou mises en œuvres en direction justement des couches défavorisées», soutient-il. Il affirmera, par ailleurs, que les membres de la cellule de proximité et de solidarité, dont il fait partie, accomplissent avec «amour et dévouement» leur travail, et ce, malgré des difficultés d'ordre logistique et matériel. «Nous allons à chaque fois que c'est nécessaire à la rencontre des familles pauvres, dans les lointains villages de Kabylie. Nous avons un questionnaire modèle pour recueillir toutes les données sur les besoins de nos interlocuteurs et nous reproduisons fidèlement toutes ces données, avant de les transmettre aux instances qui ont le pouvoir d'agir sur la misère. Et c'est là que le bât blesse car nous relevons que nos «scanners» de la réalité sociale ne sont pas pris en compte par les autorités qui utilisent les résultats de notre travail sur le terrain, pour faire croire à leurs supérieurs qu'elles œuvrent à aider les classes nécessiteuses, pour se vanter», relève-t-il encore désenchanté. Un travail de terrain sans suivi Mêmes préoccupations des personnes concernées par la gestion du dossier social dans la commune de Bounouh, à une quarantaine de kilomètres au sud de Tizi Ouzou, l'une des localités les plus touchées par le chômage et les fléaux sociaux. Dans cette commune, la cellule de proximité et de solidarité qui chapeaute trois daïras, à savoir Aït Douala, Boghni et Ouadhias, a réalisé un travail de recensement des données sociales sur la population il y a environ une année, selon M. Mokhtari, élu indépendant à l'APC. Il témoigne que les membres de ladite cellule ont réalisé la carte sociale de la commune en vue de son exploitation future pour la résorption des problèmes sociaux de milliers d'habitants de sa commune. «Une fois la carte sociale de Bounouh achevée, nous avons proposé à la cellule de proximité de venir en aide aux deux villages que nous estimons les plus démunis de la commune de Bounouh. Par conséquent, le village de Helouane, l'un des deux villages concernés, a reçu des denrées alimentaires pendant le mois de Ramadhan, mais, depuis, aucune aide n'est venue soulager les familles sans ressources, et on se débrouille comme on peut pour tout le reste des cas de pauvreté», souligne-t-il. Au chef-lieu de wilaya de Tizi Ouzou, des agents directement impliqués par la question de la lutte contre la pauvreté ignorent jusqu'à l'existence d'une structure dénommée «Cellule de proximité et de solidarité». «Nous avons élaboré la carte sociale de la commune de Tizi Ouzou que nous nous avons transmise à la Direction de l'action sociale (DAS) et avons fait de même, s'agissant du logement social, dont le rapport est au niveau de la daïra de Tizi Ouzou. Mais dans les deux cas, nous n'avons ni le pouvoir ni les prérogatives de concrétiser des projets de développement, de débloquer de l'argent pour aider les démunis, leur trouver un toit décent,…etc.», regrettent-ils. Il ne suffit pas seulement donc de compter le nombre de démunis et de recenser leurs besoins. Il s'agit aussi, et surtout, de répondre à leurs besoins immédiats et à l'indispensable défi de développement économique de la Kabylie qui, lui, sera la solution à moyen et long terme.