Photo : A. Lemili De notre envoyé spécial en Tunisie A. Lemili Est-ce à force d'avoir été malmenés régulièrement au cours de leurs précédentes sorties du territoire national que les Algériens affichent le plus grand stress à leur arrivée à hauteur d'un poste frontière ? En tout état de cause, l'habitude nous a toujours mis face à des personnes en proie à un tumulte intérieur incommensurable dès l'instant où elles quittent l'habitacle de leur voiture pour aller accomplir les démarches administratives d'usage permettant à tout quidam de pousser le «ouf» de soulagement à la traversée des quelques mètres de no man's land séparant l'Algérie de la Tunisie. Le malaise est d'autant plus grand qu'en face l'accueil est tout autre. Les agents du pays voisin laissant la pesante impression d'adapter constamment une bienveillance et assouplir le traitement de leurs hôtes en fonction des difficultés qu'ils ont trouvées à passer la frontière algérienne. Une inversion des rôles dans les comportements et le traitement administratif de procédures ordinaires trop feinte pour être honnête alors que celles-ci relèvent du droit basique du voyageur, et autrement que de ce qui est assimilé à une faveur, du devoir obligatoire des policiers et douaniers tunisiens lesquels, comble de l'ironie, tirent leur honorabilité, voire leur gloire auprès de nos concitoyens de cette forme de condescendance. Les raisons se situent malheureusement dans une sorte de publicité comparative. Passer quatre, voire six heures dans un poste frontière algérien a toujours été un exercice que seuls, forcément, nos compatriotes connaissent et endurent avec une passivité inquiétante. Or, en face, le transit ne dépasse jamais, et au pire des cas, la demi-heure. Il faut toutefois remettre quelque part les choses dans leur contexte et dénoncer chez nos compatriotes des attitudes totalement contradictoires : Soupçonneux, revêches, désordonnés, brouillons, irrespectueux des conventions et des règles et potentiellement agressifs à l'endroit des représentants de l'administration algérienne et littéralement dociles et à la limite de la servilité avec ceux tunisiens. Toutes ces mises en scène dignes de la commedia del arte n'absolvent en rien les douaniers et policiers algériens comme elles ne magnifient en rien leurs homologues de leur côté de la frontière. Seuls, les voyageurs ont droit quand même à des circonstances atténuantes. Elles ne magnifient en rien les Tunisiens en ce sens que leurs collègues algériens, durant cet été 2010, ont fait preuve d'une extraordinaire célérité dans le traitement des flux, une disponibilité de tout instant et une amabilité qui ne peut qu'honorer les différentes institutions concernées. La fluidité à hauteur du poste frontière d'Oum-Teboul n'avait d'égale que la lenteur sciemment entretenue par les agents tunisiens, lesquels considéraient avec mépris nos compatriotes, usant et abusant ouvertement de passe-droit, agissant à la tête du client, plus particulièrement si celui-ci appartient à la corporation des taxieurs, voire des transporteurs clandestins, des agences de voyages lesquels, est-il besoin de le cacher, tacitement versent une dîme pour bénéficier d'un traitement de faveur. Un traitement de faveur qui ne peut donc être ressenti que par les voyageurs, obligés alors de subir dans le temps la grande expression des amabilités entre les parties évoquées, leurs salamalecs et opinions sur les effets et méfaits de la canicule alors que la ou les files n'arrêtent pas de s'allonger. Ce qui explique facilement la répartie de l'un de nos compatriotes lequel ayant réussi enfin à s'extirper de ce dédale administratif lançait un très significatif : «A partir de maintenant, nous sommes en liberté provisoire pour les quinze jours à venir», histoire de rappeler à ceux qui l'accompagnaient qu'ils avaient intérêt à tout apprécier à partir de cet instant car la galère, il fallait inéluctablement y retourner. «A partir de maintenant, nous sommes en liberté provisoire pour quinze jours» Les plaques minéralogiques des véhicules qui sillonnent les autoroutes et les voies à péage permettent de déduire un grand rush des habitants du Sud algérien et l'est du pays. Les directions prises varient selon les catégories sociales mais aussi l'âge des personnes. Les jeunes sont plus enclins à se rendre à Sousse où il est plus facile pour eux de s'éclater et de vivre pleinement leur séjour. Ladite destination n'exclut pas de facto les familles du fait que les coûts de location d'appartement sont moins élevés qu'ailleurs et le rapport qualité/prix nettement plus affirmé. La raison serait, semblerait-il, que d'une part les jeunes optent dans leur majorité pour les hôtels pour ce qu'ils offrent en moyens distractifs (accès à la plage, la piscine, la discothèque) et animation globale, d'opportunités de contacts avec les étrangers (ères) alors que les familles qui ont plus tendance à louer des appartements optent en général pour Hammamet et/ou Nabeul et d'ailleurs plus particulièrement pour cette deuxième en ce sens qu'elle semble leur offrir ou réunir des conditions de vie comparables aux modestes villes algériennes. Ces cinq dernières années, le manque à gagner a été vivement ressenti par les commerçants de Sousse, car contrairement aux touristes européens qui sont très regardants sur leurs dépenses à tort ou à raison, allez savoir, sont bien loin derrière nos compatriotes lesquels ont la réputation de véritables flambeurs qui claquent leur argent sans retenue, constituant par voie de conséquence un véritable filon pour les commerçants locaux, nous dira l'accompagnateur d'un voyage organisé rencontré dans la capitale tunisienne.Effectivement, du fait d'être considéré comme la destination idéale pour les familles, Nabeul a commencé à accueillir à partir de la fin du mois de juin des cohortes d'Algériens notamment ceux originaires de Biskra, El Oued compte tenu du fait que les vacances scolaires dans cette partie du pays sont anticipées. Ce qui a fait que dès la deuxième décade de juillet, la possibilité de trouver en location des appartements à des prix attractifs s'amenuisait graduellement. L'augmentation passant de 50% le coût habituel et jusqu'au double au cours de la troisième décade du même mois. Quoi qu'il en soit, il y a lieu de relativiser et souligner que question de rapport qualité/prix et comparativement à ce qui se pratique à Jijel, Annaba, La Marsa, Skikda, Chettaîbi, la location d'un appartement de qualité (climatisé) dans un immeuble conçu spécialement pour cela, un étage de villa meublé, avec garage, jardin, gazon et citronniers, terrasse, eau disponible en abondance, vue imprenable sur mer pour certains, voie d'accès indépendante est nettement plus avantageuse. Mais le gain le plus important pour les familles reste la sérénité ambiante à n'importe quel moment de la journée, de la nuit et dans n'importe quel endroit ainsi que la certitude pour les jeunes accompagnés ou venus seuls de ne pas être mal vus et/ou de constituer aux yeux des adultes de potentiels trouble-fêtes.A Nabeul, plus spécialement, il est très facile de trouver un appartement de location en raison des nombreux rabatteurs qui longent les trottoirs, parfois empiétant la chaussée et portant l'écriteau «location». Le temps d'attente donc pour trouver un gîte est dérisoire. Quoiqu'en général, ceux parmi nos compatriotes qui y vont une fois étoffent leur carnet d'adresses pour assurer les années qui suivent sans exclure toutefois le risque d'être pris au dépourvu dès lors que le même propriétaire pratique allègrement le «un tiens vaut mieux que deux tu l'auras» et donc le louer, sans état d'âme, au premier demandeur arrivé. Il faut rappeler que pour ce qu'elle permet en matière d'aide financière aux propriétaires, lesquels ne sont pas forcément riches parce qu'ils ont pour patrimoine une villa, les pouvoirs publics locaux ferment les yeux et sont peu regardants des redevances fiscales revenant logiquement à l'Etat mais aussi sur l'identité du locataire et des petits détails (comme le livret de famille) qui gâcheraient tout chez nous en Algérie. Même s'il est clair que ces derniers (les propriétaires) informent les services de police de la présence d'étrangers dans leurs demeures. D'ailleurs, M. Med Najem Ouhibi, chef de division d'informations et des conférences au Gouvernorat de Nabeul, avec lequel nous avons eu un fugace entretien dira : «il faudrait voir Nabeul en dehors de la période estivale...ce n'est pas Byzance. Les gens vaquent honnêtement à leur travail pour ceux qui en ont sinon c'est à qui travaille son lopin de terre ou pratique un métier artisanal. Juillet et août sont deux mois pleins et durant lesquels tout le monde a matière à gagner autant vous les visiteurs que mes compatriotes, voire les prestataires étrangers sur place. La population (environ 125 000 habitants) quintuple pratiquement.» Nous n'en saurons pas plus dans la mesure où notre interlocuteur affirme ne pas disposer de la latitude de nous entretenir officiellement à moins de passer par un organe centralisé à hauteur de la capitale qu'il faut solliciter à temps et via des procédures. Et les Nabeuliens deviennent pratiquement transparents au cours des vacances, ce qui explique sans doute la disponibilité d'appartements mis en location, mais certainement perturbés par la prise d'assaut des commerces locaux, de l'inflation induite par la frénésie du «tout acheter» des touristes algériens et donc inévitable conséquence : une déstabilisation des prix jusqu'à éroder provisoirement leur pouvoir d'achat. Nos compatriotes ont pourtant l'impression de tout gagner dans les transactions qu'ils réalisent alors qu'il s'agirait plutôt de tout relativiser et garder en mémoire que sur le plan fiduciaire toute dépense engagée a la même valeur pour un objet donné dans un marché de Constantine ou d'Alger. Qu'il soit acheté en dinars algériens en Algérie ou en dinars tunisiens en Tunisie et peut-être à la seule différence que l'appoint en matière de paiement est l'une des qualités des commerçants de ce pays, voire une règle officielle qui balise les rapports vendeurs/clients et établit une confiance réciproque dont l'essentiel est de conforter le client dans son statut et le commerçant dans le sien. Acheter un produit 2,95 DA, c'est le payer effectivement à ce prix et obtenir une monnaie de 0,05 centimes pour 3 dinars et non pas dans le meilleur des cas un…bonbon et rien du tout dans le pire à Alger, Constantine, Annaba ou Relizane. Et c'est donc au-delà de l'idée même de la normalisation de rapports intéressés entre les deux parties cette forme de respect qu'il remarque à son endroit que l'Algérien évalue le degré de sa dévalorisation de son pays et ce faisant de sa solitude face aux acteurs du marché, pour ne pas dire des spéculateurs. Et la flambée des prix qui caractérise le marché à l'orée du mois de Ramadhan en atteste cruellement. Nul n'ignore qu'un pays ne peut être fort que si sa monnaie est forte, fut-elle une monnaie de singe comme dirait l'autre. Le dinar tunisien n'est pas plus fort que celui algérien mais il est respectable et respecté. Emblèmes algérien et tunisien inséparables L'autre aspect conquérant est la liberté ou la marge de manœuvre comportementale dont dispose l'étranger et l'Algérien qui en demeure l'exemple par excellence s'autorise d'autorité toutes les attitudes et deux fois plus qu'une si celles-ci sont en marge des conventions ou des règles officielles ou traditionnelles établies. Nous en donnons pour preuve le port vestimentaire. Ainsi sont-elles en nombre les filles qui se baladent en jupe courte une fois dans les artères des villes tunisiennes et plus particulièrement à hauteur de la capitale, grillent une cigarette sur la plage, boivent, se baignent en bikini, veillent tard aussi bien sur les places publiques, les parcs d'attractions que dans des discothèques et peuvent rentrer à pied, seules ou en groupe, à n'importe quelle heure de la nuit sans qu'il n'y ait d'inquiétude. Les jeunes garçons peuvent faire autant de chahut qu'ils le souhaitent et tant que leur énergie le leur permet jusqu'au lever du jour. La présence d'agoras dans chaque ville à l'image de Sousse, Nabeul, Bizerte canalise le réflexe grégaire cher à nos compatriotes qui s'y retrouvent avec une régularité quasi biologique pour y faire la fête et un spectacle exubérant que trouvent tellement sympathique les touristes européens mais aussi les habitants des villes concernées lesquels établissent rapidement des liens avec leurs «frères» algériens.Un sentiment de fraternité superbement traduit par la présence très visible de notre emblème national parfois seul et des fois à côté de celui tunisien dans toutes les échoppes traditionnelles, les superettes, les grandes surfaces. Il faudrait néanmoins voir dans cette manifestation d'amitié une technique de marketing mais également un moyen comme un autre d'anticiper sur toute velléité de dérapage de part et d'autre. Une sorte d'arme pacifique de dissuasion. Pas mal vu en tous les cas parce que cet appel ostentatoire a effectivement eu son influence sur le comportement de nos concitoyens, quoique ces derniers s'intègrent facilement et comme nous l'évoquions précédemment suscitaient même la sympathie. Et cela fait quand même drôle de constater que durant tout un séjour personne ne crie, personne ne se bagarre ou ne s'invective.Les seuls rabrouements auxquels peuvent faire face les étrangers autres qu'occidentaux ou du moins venant d'Europe sont imputables aux interdictions de se baigner qui peuvent être faites à des intrus dans des plages réservées. Un cas de figure difficilement acceptable à quelques-uns de nos compatriotes mais que par overdose de persuasion et patience, les agents de sécurité des plages arrivent à convaincre, voire à amadouer. En fait, il y a quelque chose de paradoxal à ces plages privées interdites d'accès juste par une plaque qui n'empêche pas le petit peuple de côtoyer de très près des cohortes d'Apollon, de créatures de rêve, de véritables chérubins et de mémés qui s'évertuent désespérément à faire illusion en s'échinant à avoir une dégaine et le look de la jeunesse. Des Nabeuliens, d'extraction vraisemblablement modeste, n'hésitent pas à ramener leurs animaux, chiens et ânes pour leur faire une toilette dans une eau limpide. Sans que cela n'offusque outre mesure les baigneurs et excitant la curiosité des étrangers. Enfin dans le pays voisin, rouler est un plaisir en l'absence de ralentisseur, de la qualité de la voie, autoroute ou à péage, d'une signalisation authentique, de bas-côtés aussi nets que la chaussée. Ce qui n'empêche pas la vigilance des agents de la circulation tunisiens qui n'hésitent pas avec les contrevenants au code de la route à négocier contre monnaie sonnante et trébuchante le non-respect d'une signalisation. Le gré à gré se traite sur place et ne dépasse pas 30 DA pour la pire des infractions.