Après cinq ans de négociations, de coups de bluff diplomatiques, de surchauffe du marché énergétique, de campagnes de presse forcenées et de menaces récurrentes, l'étau se resserre autour de l'Iran. Des sanctions sont désormais votées par le Conseil de sécurité de l'ONU. Pour l'instant, ces mesures de rétorsion se situent dans le cadre du chapitre VII, article 41 de la Charte des Nations unies, qui exclut le recours à la force. Pour autant, cela ne voudrait pas dire que l'on s'en tiendrait là ou, a contrario, que des attaques conventionnelles ou nucléaires contre l'Iran soient possibles ou inéluctables. L'option de frappes aériennes contre les installations nucléaires et les infrastructures militaires et économiques de l'Iran, étudiée par les experts du Pentagone depuis plus de trois ans, est entrée toutefois dans une phase de préparation active en novembre 2006. Juste après la défaite des Républicains aux élections au Congrès et les échecs itératifs en Irak, G. W. Bush choisit alors d'envoyer en Irak 21 000 soldats supplémentaires spécialisés dans la défense des lignes de communication et dans la mise en place de centaines de batteries antimissiles. Celles-ci, à l'évidence, sont destinées à contrer d'éventuelles ripostes de l'Iran s'il était attaqué. Ensuite, c'est le déploiement progressif de la puissance aéronavale américaine avec notamment la projection de porte-avions et de sous-marins nucléaires dans le golfe Persique et l'océan Indien. Dans ce scénario de guerre, le rôle d'Israël ne doit jamais être minoré, car ce pays qui possède la bombe atomique entend maintenir à tout prix son monopole nucléaire dans la région. Déjà impliquée dans la préparation globale avec le Pentagone, l'armée israélienne a pratiqué plusieurs simulations d'attaques sur des installations nucléaires iraniennes. Bombinettes et mini-guerres nucléaires L'option militaire classique n'est pas la seule envisagée. En effet, la guerre que projettent les Etats-Unis et Israël est potentiellement, probablement même, nucléaire. Après le 11 septembre 2001, l'hyper puissance américaine a élaboré une nouvelle doctrine d'emploi de l'arme atomique. Ce qui l'incite à annoncer explicitement une «attaque nucléaire préventive» contre des pays qui «envisagent d'utiliser des armes de destruction massive». Théoriquement, une éventuelle attaque contre l'Iran verrait l'usage d'un mélange d'armes classiques et d'armements nucléaires avec des têtes de faible puissance. Ces «bombinettes», d'une nouvelle génération, conçues pour effacer la distinction entre moyens nucléaires et moyens conventionnels, seraient destinées à des «mini-guerres» atomiques et sont censées être suffisamment «intelligentes» pour épargner les civils. Leurs concepteurs les présentent, comble du cynisme, comme des outils pour construire la paix, ce fameux «peace building» des docteurs Folamour et autres spin doctors américains. Soixante-trois ans après Hiroshima, l'humanité est en présence pour la première fois d'un projet insensé de guerre nucléaire limitée et localisée, «under control» et susceptible d'être déclenchée «immédiatement». Sur le plan purement conventionnel, si attaque il devait y avoir, il s'agirait avant tout de frappes aériennes menées par les forces spéciales. Une invasion terrestre de l'Iran, à l'instar de celle de l'Irak en 2003, semble totalement exclue par les experts. Deux pays sont militairement capables de conduire ces attaques : les Etats-Unis et leur allié Israël. La Grande-Bretagne et la France ne possèdent pas autant de capacités offensives et leurs forces de projection rapide mobilisables en temps et heure ne sont pas au format ad hoc. Autre variante : si les Etats-Unis devaient s'y mettre à eux seuls, ils utiliseraient notamment leurs missiles embarqués sur leurs différentes unités navales dans le golfe Persique et l'océan Indien, probablement même à partir de la Méditerranée orientale. En direction de quelque 6 400 objectifs recensés. Autre facette du scénario, une offensive menée par les seules forces de l'armée israélienne, sous-traitant à l'occasion pour leur allié américain et pour la «communauté internationale». Les menaces du président Ahmadinejad d'effacer l'Etat hébreu de la carte du monde en seraient un prétexte tout trouvé. Dans les cas d'attaques américaines ou israéliennes ou de frappes combinées, les difficultés opérationnelles seraient majeures. Il ne s'agira pas en l'occurrence d'une opération similaire à celle qui avait abouti au début des années 80 à la destruction des installations nucléaires de l'Irak. Demain, il sera question de détruire le potentiel atomique iranien mais aussi l'ensemble des infrastructures qui permettraient le cas échéant à l'Iran de riposter en ciblant directement Israël. Les manœuvres militaires des Gardiens de la révolution avec tirs de missiles de longue portée, en juillet dernier, suggèrent en tout cas que toute attaque contre le système nucléaire iranien prendrait nécessairement en compte l'impérative destruction de la base d'infrastructures iranienne. Pour qu'Israël ou les Etats-Unis accomplissent leur offensive contre l'Iran, ils auraient inéluctablement besoin de vagues successives d'attaques contre les installations nucléaires, les centrales électriques, les casernements militaires, les positions d'artillerie de longue portée, les batteries de missiles et de défense aérienne, notamment les vecteurs de longue portée, particulièrement les «Shihab 3» pouvant atteindre des objectifs à plus de 2 000 kilomètres. L'attaque contre certains objectifs nucléaires au centre de l'Iran et dans la région de Téhéran, notamment à Karum, nécessite de ravitailler plusieurs fois les avions contraints d'effectuer plusieurs rotations en raison de la longueur du rayon d'action. Se pose aussi le problème des couloirs à emprunter hors portée des radars iraniens et des voies empruntées par les nombreux vols civils dans une région qui compte notamment le hub d'Abu Dhabi. Les avions qui seraient obligés alors de voler à basse altitude ne pourraient passer que par la Jordanie et l'Irak ou via la Syrie et l'Irak, ce qui suppose dans les deux cas de figure l'assentiment des régimes jordanien et syrien. Pas évident, surtout que l'accord de la Turquie voisine serait également requis du fait qu'une partie de son territoire se trouve sur le passage vers l'Iran. Crise mondiale majeure Il existe également un risque de contamination radioactive en cas de frappes directes de matériels fissibles. Dans toutes les hypothèses, une seule frappe ne serait pas suffisante : le scénario de bombardement de la centrale atomique irakienne de Tammouz par l'aviation israélienne en juin 1981 n'est plus possible. Autre difficulté et non des moindres : les Iraniens se sont préparés à toute attaque éventuelle. Ils ont certainement dispersé leurs sites, les ont renforcés en les enfouissant, parfois sous des tonnes de béton armé. Enfin, ce qui est prévisible, ils ont développé et densifié un réseau de défense sol-air. Dernier problème et non des moindres pour les Américains et les Israéliens : si des frappes sont réalisées, Téhéran ne restera pas sans réagir. Les cibles potentielles sont nombreuses et accessibles : l'US Army en Irak, en Afghanistan et dans le Golfe. En cas d'implication d'Israël, c'est le front libanais qui sera embrasé avec l'entrée en lice des redoutables milices du Hezbollah. Last but not least, appui plus important aux insurgés en Irak ou par des attentats. L'Iran, qui fermerait immédiatement le très stratégique détroit d'Ormuz par où transite 20% du pétrole mondial, s'en prendrait aussi à des pétroliers. C'est alors que le baril de brut atteindrait certainement des plafonds que d'aucuns n'auraient jamais osé imaginer. Certains spécialistes disent qu'il pourrait grimper jusqu'à 250 dollars et même parvenir au double, d'autres prévoient carrément une hausse exponentielle ! D'où une crise mondiale dans les mois qui suivraient ce blocage, sans compter la multiplication d'attentats terroristes à travers le monde. N. K.