Photo : Riad De notre correspondant à Annaba Mohamed Rahmani Passé l'enthousiasme et l'euphorie qui avaient caractérisé la décision, fin février 2009, par le président de la République de l'effacement des dettes des agriculteurs, la situation réelle sur le terrain a ramené à des proportions tout à fait modestes cet effet d'annonce qui avait à l'époque fait rêver toute la profession. En effet, cette mesure, perçue par les fellahs comme une bouée de sauvetage et une bouffée d'oxygène pour le monde rural étouffé par les dettes, ne concerne qu'une partie des professionnels excluant ainsi d'autres non moins importantes puisque contribuant directement ou indirectement à l'essor de ce secteur stratégique. Bien avant et lors de son déplacement à Annaba en décembre 2008, M. Alioui, secrétaire général de l'UNPA, devant l'insistance des agriculteurs de la région sur les problèmes qu'ils rencontraient pour le remboursement des dettes contractées auprès des banques, avait annoncé qu'il porterait en haut lieu leurs doléances et que, certainement, il y aura des mesures dans ce sens. Deux mois plus tard, la décision présidentielle était venue couronner cette démarche et les fellahs étaient en quelque sorte libérés croyant qu'ils s'étaient débarrassés une fois pour toutes de ces dettes qui grevaient leurs budgets et pesaient sur leurs finances. Les quelque 3 200 fellahs sur les 15 000 activant dans le secteur agricole à Annaba, croyant en être bénéficiaires, s'étaient rapprochés des banques en vue de constituer un dossier pour l'effacement desdites dettes. Propriétaires de chambres froides, agriculteurs ayant contracté des crédits pour l'acquisition de matériels agricoles dans le cadre du leasing, éleveurs, producteurs de lait, transformateurs, conserveurs, arboriculteurs, entreprises travaillant dans le secteur agricole, aviculteurs, apiculteurs et autres avaient pris d'assaut les 2 organismes financiers détenteurs de créances, à savoir la Banque de l'agriculture et du développement rural (BADR) et la Caisse régionale de mutualité agricole (CRMA). Ces deux institutions bancaires, qui n'avaient pas alors reçu d'instructions fixant les conditions requises et les catégories concernées par l'effacement des dettes, avaient été submergées de demandes, particuliers et sociétés voulaient profiter de cette mesure, et les spéculations allaient bon train. Des interrogations sur l'exclusion de certains agriculteurs de la mesure Plus tard, la décantation s'étant faite suite aux notes explicatives et aux instructions fixant les conditions et modalités de l'effacement des dettes, les catégories concernées par la mesure avaient été réduites au moins du dixième de la demande exprimée. «Ce n'est pas possible, nous déclare un exploitant de chambre froide du côté de la localité d'Aïn Berda, je ne comprends pas comment on peut effacer la dette pour certains et on en exclut d'autres. Nous ne sommes plus égaux, alors que nous travaillons tous dans le même secteur et nous apportons notre contribution au développement de l'agriculture. J'ai fait construire cette chambre froide avec tous les équipements nécessaires que j'ai acquis grâce à un prêt bancaire et je trouve toutes les difficultés du monde à le rembourser du fait que les sommes perçues pour le stockage des produits agricoles de la région ne me permettent pas de couvrir les frais, de vivre et de payer mes dettes. J'ai investi beaucoup d'argent dans ce projet stratégique pour la production agricole et je croyais que j'étais concerné par la mesure d'effacement, mais ce n'est pas le cas. Pourquoi nous en a–ton exclus ? Je n'en sais rien, je ne suis pas le seul dans mon cas, il y a près d'une dizaine dans la même situation et nous avons écrit au ministère pour qu'il revoit les mesures prises.» Un autre, agriculteur de son état, qui a acquis des équipements dans le cadre du leasing auprès de la société SALEM leasing, une filiale de la CNMA, dit ne pas comprendre les raisons ayant amené les pouvoirs publics à exclure cette catégorie de prêts de la mesure présidentielle. «L'équipement que j'ai acquis, véhicule de transport, cuve réfrigérante, trayeuse électrique, est indispensable à mon activité et entre dans la production agricole. Je ne vois vraiment pas pourquoi on nous a exclus.» Le montant des dettes est colossal pour certains et sous-estimé pour d'autres A la succursale de la Banque de l'agriculture et du développement rural, on est ferme quant aux catégories touchées par la mesure d'effacement et le rachat par le Trésor public des dettes des agriculteurs. «Le rachat par le Trésor public ne concerne que les dettes se rapportant aux activités de production animale ou végétale, nous déclare un responsable. Cela exclut de facto les prestataires de services, chambres froides et autres, les dispositifs aidés tels que les activités financées par l'ANSEJ ou un fonds spécial. Ne sont pas concernés aussi les activités agricoles ayant un statut de SARL ou de n'importe quel autre type de société commerciale.» Un autre nous dira que la BADR ne fait que se conformer aux instructions et qu'une commission mixte Trésor public/BADR a été installée pour étudier tous les dossiers présentés par les agriculteurs. «Nous serons heureux que toutes les dettes soient rachetées par le Trésor public. Cela permettra à la BADR d'assainir la situation et nous arrangera beaucoup. Mais ce n'est pas le cas et seul le Trésor public est habilité, selon les instructions reçues, à décider du rachat de telles ou telles dettes.» Au niveau de la BADR de Annaba, 270 dossiers de dettes contractées par les agriculteurs de la région de Annaba et d'El Tarf ont été assainis. Ainsi, 400 millions de dinars (40 milliards de centimes) de dettes ont été rachetés par le Trésor public, une somme colossale, diront certains. Mais le montant global des dettes de la profession, toutes activités confondues, est, selon certaines estimations, 2 à 3 fois supérieur au vu des dossiers présentés. La déception est grande dans les campagnes et l'on voit que cette mesure est injuste puisqu'elle touche seulement certaines catégories et en exclut d'autres. «Nous travaillons tous dans le secteur agricole», nous dit le patron d'une SARL spécialisée dans l'étude et la réalisation de systèmes d'irrigation. C'est de la ségrégation, le Président avait dit que toutes les dettes des fellahs seront épongées. Aujourd'hui, comme vous le constatez, ce n'est pas le cas et je crois qu'il s'agit plutôt d'un problème de bureaucratie, l'administration n'a pas suivi et est, comme à l'accoutumée, à la traîne. Nous en faisons les frais et cet élan salvateur de l'agriculture dans notre pays est en train d'être freiné par ces lenteurs et ces atermoiements.» Du côte de la CRMA, l'autre banque accompagnatrice de cette mesure, c'est le black-out total malgré notre insistance auprès des responsables. Si nous avons été reçus par le directeur de la branche assurance, qui s'est aimablement excusé de ne pouvoir nous communiquer les informations sur les dettes des agriculteurs parce que celles-ci sont du ressort de la branche bancaire, au niveau de cette dernière, c'est la débandade. Vers 11 heures, le jeudi 28 octobre, il n'y avait personne derrière les guichets et nous avions dû attendre pendant un certain temps avant que quelqu'un s'aperçoive de notre présence. Selon cette personne, le directeur était en congé ; l'intérimaire nous a signifié qu'il n'était pas habilité à nous communiquer lesdites informations. A croire que ces informations, somme toute publiques, relèvent du secret nucléaire. Selon nos informations, cette institution bancaire, qui détient une grande partie des dettes des agriculteurs, est très en retard dans le traitement des dossiers présentés par les fellahs. On nous a rapporté que certains traînent depuis des mois au grand dam des concernés qui attendent toujours que la situation soit assainie.