Entretien réalisé par Sihem Ammour La Tribune : C'est la deuxième fois que vous êtes présent dans le cadre du Sila ; quelles sont vos impressions générales ? Eugène Ebodé : J'ai été heureux de retrouver des amis et écrivains suisses et d'autres amis vivant en France dans ce salon international. J'ai encore une fois été ému par la foule répondant massivement au rendez-vous du livre. Vous ne pouvez imaginer à quel point un auteur est rassuré par la présence des lecteurs. Ils forment l'humanité que nous cherchons à saisir dans le secret de nos travaux et dans la composition de nos personnages. Soudain, cette humanité se présente, par vagues ininterrompues autour des livres. Voilà ce qui m'impressionne au Sila. J'ajoute aussi, en dehors du phénomène quantitatif, que j'étais heureux de noter chez les lecteurs algériens, un subtil questionnement qui se lisait dans leurs yeux : «Quels livres vont étancher ma soif de curiosité ?» Cette soif est presque palpable. Qu'avez-vous retenu de vos interventions ou des séances de dédicace de votre roman ? En découvrant Madame l'Afrique, lorsqu'on se penchait vers moi et on me demandait si mon roman avait un rapport avec son «quartier», je comprenais immédiatement que ce lecteur habitait à Bab El Oued et connaît la cathédrale, Notre-Dame d'Afrique. Le désir de contextualisation, l'envie de situer l'histoire prenait alors la forme d'un apéritif littéraire avant le grand dîner que constitue la lecture du livre. J'aime beaucoup ces échanges avec le public, ces tâtonnements qui ouvrent l'appétit. Ils installent le lecteur dans ces caractéristiques essentielles que Nabokov privilégiait autant chez un lecteur que chez un écrivain : l'imagination, la mémoire et le sens artistique. Tenez, j'ai eu une conversation avec un monsieur qui m'a entretenu des séjours de Karl Marx à Alger et des musiciens Debussy et Camille Saint-Saëns dans la capitale algérienne. C'était ravissant de l'entendre presque faire monter à mes oreilles les oratorios de Saint-Saëns. J'ai aussi apprécié, parmi les nouveautés de cette édition du Sila, la publication de la revue L'Afrique parle livres. Cette initiative nous a permis de rendre hommage aux grands aînés. J'ai donc pu évoquer la mémoire de l'écrivain malgache Jacques Rabemananjara, le porteur de rameaux d'or. Merci aux organisateurs sans lesquels ces rappels et ces bons moments de partage seraient restés à l'état de rêve. Rêver, c'est bien, concrétiser, c'est mieux. Et puis, il me restera l'image de ce jeune garçon qui a économisé dinar après dinar et offert Madame l'Afrique à sa maman. Pouvez-vous nous en dire davantage sur ce nouveau roman Madame l'Afrique publié aux éditions Apic ? Le travail en amont avec Apic m'a enchanté car un livre est d'abord un échange, une causerie écrite entre un auteur et un éditeur. Quand cette causerie a été intensifiée par les deux parties et conclue par un accord de publication, alors le lecteur est invité à participer aux agapes de l'esprit. Nous avons, les éditions Apic et moi, conversé avec bonheur pour réaliser ce livre qui traite précisément des rendez-vous parfois manqués entre des êtres, mais aussi des rêves d'amour, de la recherche de profondeur, de racines qui nous lient à nos pères et à nos mères. Madame l'Afrique suggère également un type particulier de conversation, la causerie ultime qu'on engage avec sa terre. Plus prosaïquement, disons que Madame l'Afrique est ce personnage qui ouvre ses bras et son cœur à l'Afrique au moment où tant d'autres, ignorants ou cyniques, insinuent que l'Africain n'étant pas entré dans l'histoire, n'existe pas. Je ne prétends pas que nous sommes l'Histoire, mais constatons que nous savons défaire celle qui nous tient pour quantité négligeable. Le choix d'une maison d'édition africaine entre-t-il dans le cadre de la dynamique des débats qui ont été lancés lors de la 2éme édition du Panaf pour mettre à la disposition des lecteurs africains leur propre littérature ? Vous avez absolument raison. Sans le Panaf 2009, ce roman n'aurait pas vu le jour si tôt et en avant-première ici en terre africaine. Lors du 2ème festival panafricain, l'idée de redonner la première place à l'Afrique a été débattue. La publication d'un livre a un sens politique et littéraire. L'engagement n'est ni une tare ni un frein à la littérature. C'est une renaissance. Au lecteur de se faire une idée plus précise en lisant le livre. Aux critiques de le défendre ou de le pourfendre. La mission n'est pas terminée. Quels sont vos autres nouvelles publications, ainsi que les nouveaux projets sur lesquels vous travaillez en ce moment ? J'ai plusieurs projets sur la table, dont l'hommage à rendre à Fanon qui nous invitait, ainsi qu'Achille Mbembé vient de l'exprimer dans son dernier livre, Sortir de la grande nuit. Mais mon agenda immédiat est tout entier tourné vers la meilleure exposition possible de Madame l'Afrique. J'ai tellement de choses à dire sur ce livre, sa préparation, son contenu, la place de l'Algérie dans une autofiction, la nostalgie des pieds-noirs et les brumes tenaces qui encombrent et confisquent les mémoires. Le personnage du Mufti Abdoul, ce pied-noir converti à l'islam, a constitué le moment décisif et poignant durant l'écriture de ce roman. Et puis, il y a Madame l'Afrique… Qui est-ce ? La cathédrale ou une femme en chair et en os ? Je reviendrai à Alger pour retrouver les lecteurs et entretenir la flamme des conversations utiles. Nous parlerons d'Abdoul, de Zogo Fouda, de Tonton Gros Œil, de Charles Oscar, du narrateur Stéphane, des aspects saillants ou de quelques autres personnages truculents ou dérangeants de ce roman. Peut-être vous présenterai-je alors, incha Allah, Madame l'Afrique, en chair et en os comme vous dites... S. A. Un film turc sur «Marmara» provoque l'ire des Israéliens Plusieurs dirigeants israéliens ont exprimé leur colère et inquiétude à la suite d'une annonce turque d'avoir fini la production d'un film turc sur le bateau «Marmara» agressé par la marine israélienne, le 31 mai dernier dans les eaux internationales en Méditerranée, et où 9 Turcs ont trouvé la mort. Pour rappel, le bateau chargé de vivres et de médicaments et avec à son bord des humanitaires, faisait route vers Ghaza qui, depuis plus de quatre ans, subit un blocus sioniste condamnant plus d'un million et demi d'habitants à une mort lente. La deuxième chaîne hébraïque a répliqué : «La Turquie a trouvé une nouvelle méthode de se venger d'Israël, en produisant un film à propos de l'assaut des forces maritimes israéliennes sur le bateau turc «Marmara». Ce qui va sûrement augmenter les tensions et querelles entre Ankara et Tel Aviv.» «Les chaînes satellites et de cinéma ont formellement commencé à publier certaines scènes principales du film turc intitulé la Vallée des loups - Palestine, a indiqué la 2ème chaîne hébraïque prévoyant qu'il va avoir beaucoup de succès et inciter à la vengeance contre Israël, précisant qu'il est le troisième ouvrage turc anti-sioniste qui porte le même titre.Notons que le film sera diffusé d'une manière régulière en Turquie, le 28 janvier prochain.