De notre correspondant à Annaba Mohamed Rahmani «La zone industrielle intégrée de Annaba ? Nous en avions beaucoup espéré pour amorcer une véritable relance du secteur de l'industrie dans la région et nous avions travaillé pour la concrétiser du temps de Abdelhamid Temmar [l'ancien ministre de l'Industrie]. Des cellules avaient été installées et des contacts avaient été pris avec les différents intervenants, université, les laboratoires de recherche, investisseurs, hommes d'affaires et autres et cela avait commencé à prendre forme. Puis, après le remaniement ministériel, plus rien, tout a été mis en veilleuse, des cellules dormantes, aucune vision d'avenir pour cette forme d'organisation et on attend toujours que cela reprenne. Mais au vu de la situation, cela ne sera pas pour bientôt et on risque d'attendre encore longtemps avant de voir ressurgir le projet dans lequel se sont investis beaucoup de gens, nous confie un fonctionnaire de la wilaya.Il y a bien eu des réunions, des journées d'information et de formation organisées par la Chambre de commerce et d'industrie Seybouse, la Direction des mines et de l'industrie et les services de la wilaya, et les uns et les autres, universitaires-chercheurs, opérateurs économiques, patrons et chefs d'entreprise, espéraient voir se réaliser cette synergie qui catapulterait les PME et les grandes entreprises dans la modernité, l'innovation et la création. Mais quelque temps plus tard, on est presque revenus à la case départ et les espoirs s'étaient évaporés pour redécouvrir la réalité du terrain.» Les propos pleins d'amertume et de pessimisme du fonctionnaire sont confirmés par un chef d'entreprise confronté à de multiples problèmes. «On en est encore à patauger dans la gadoue dans ces espaces qu'on avait pompeusement baptisés zones industrielles, nous déclare-t-il, et on vient parler de ce même type d'organisation auquel on a accolé “intégré” ! Qu'on règle d'abord les problèmes des zones existantes pour ensuite projeter de les réorganiser en zones intégrées !» Des problèmes à n'en plus finir Et les problèmes dans les quatre zones industrielles et les six zones d'activité de Annaba, il y en a treize à la douzaine. Un éclairage public défaillant ou qui marche par à-coups, selon les conditions climatiques, un aménagement des plus sommaires avec des routes défoncées où il y a plus de nids-de-poule et de crevasses que de bitume, un système d'évacuation des eaux pluviales qui fonctionne rarement, si bien que des inondations sont signalées dans des unités de production comme cela a été le cas dans une usine dans la zone industrielle d'El Allelik… Le propriétaire avait dû prendre en charge lui-même la réfection de tout le réseau et procéder au remblayage pour surélever le terrain d'assiette tout en installant des pompes d'évacuation. «Tout le système est bouché et ne fonctionne plus. Mon usine a été inondée. Il avait fallu des journées entières pour dégager les eaux, des journées perdues et un manque à gagner important en plus des salaires versés et des dépenses occasionnées pour l'opération. Pourtant, avant l'acquisition du terrain, on nous avait assuré que celui-ci était viabilisé et doté de toutes les commodités, cela n'est pas le cas et au lieu de s'occuper de la production, on perd un temps fou en amont pour travailler dans de bonnes conditions», nous dit le patron en nous montrant des photos. Chute de tension Dans la zone industrielle de Berrahal, c'est l'énergie électrique qui fait des siennes. Les chutes de tension font des ravages dans le milieu industriel. «Il y a de fréquentes chutes de tension dans notre usine ce qui fait stopper les machines parce que celles-ci sont équipées d'un système de sécurité qui les bloque automatiquement dès qu'il y a une défaillance dans l'alimentation électrique et si cela n'avait pas été le cas, ces machines seraient complètement hors d'usage. Ces arrêts qui durent parfois 3 heures par jour sont à l'origine de la baisse de la production, ce qui ne nous permet pas d'honorer les commandes de nos clients à temps. Pour remettre les machines en marche, cela prend une à deux heures et la matière première s'y trouvant est bonne à jeter, une double perte pour l'usine qui influe négativement sur nos finances. On s'est plaint à maintes reprises auprès de la Sonelgaz mais cela n'a rien donné et on a pris l'habitude», nous dira le patron de l'usine. Le portefeuille foncier sauvé par l'Aniref Sur un autre plan, le foncier industriel pose problème et est à l'origine de la désaffection des investisseurs pour la région de Annaba. En effet, les terrains acquis par de vrais-faux investisseurs dans le cadre des différentes formules élaborées pour drainer l'investissement sont restés pour la plupart nus ou l'on s'est contenté de bâtir un mur d'enceinte pour «marquer son territoire» et y stocker du matériel ou quelques autres marchandises. Au fil du temps, lesdits terrains acquis pour une bouchée de pain parce que censés servir d'assiette à des projets générateurs d'emplois et créateurs de richesses, ont pris de la valeur et sont cédés au prix fort si bien que les investisseurs se sont détournés de Annaba pour aller réaliser leurs projets sous des cieux plus cléments. L'Agence nationale d'intermédiation et de régulation foncière (Aniref) est venue quelque peu redresser la barre en récupérant un important portefeuille foncier qu'elle a mis en concession conformément à la nouvelle réglementation, ce qui a permis de sauver une importante partie des superficies affectées à la réalisation de projets industriels. La mise en concession est venue sur le tard corriger les erreurs du passé mais apparemment, cela ne suffit pas pour la région. Aussi a-t-on lancé un projet de création de deux autres zones industrielles d'une superficie totale de 304 hectares. Les études techniques sont en voie d'achèvement et on pense que le problème du foncier industriel sera plus ou moins réglé dans quelque temps. Problème d'énergie électrique L'autre problème qui a manqué de voir un investissement lourd prendre la clé des champs est encore celui de l'énergie électrique. Mais cette fois, c'est au niveau de la zone industrielle El Allelik. L'Urban, centre d'études et de réalisations urbaines de Annaba, propriétaire de cinq lots dans ladite zone avait vendu un terrain de près de 17 000 hectares à un investisseur pour la construction d'une usine. L'acte de vente et le cahier des charges mentionnent tous les deux que le terrain en question est viabilisé et est doté de toutes les commodités, AEP, routes, trottoirs, assainissement, téléphone, énergie électrique, éclairage public et alimentation en gaz de ville. Sur le terrain, l'investisseur a découvert que le lot acquis n'est pas doté d'énergie électrique et il protesta auprès de l'Urban qui l'orienta vers une ligne de moyenne tension située à proximité pour s'alimenter en cette énergie. La ligne en question lui a été interdite par la Sonelgaz qui l'informa que l'alimentation en question était destinée exclusivement à la laiterie l'Edough située à une centaine de mètres et que tout branchement affecterait son bon fonctionnement. L'investisseur dut débourser de sa poche la somme de 7 millions de dinars pour alimenter en énergie électrique son usine toujours en construction à partir d'une ligne située à 2 km. Brandissant la facture, il nous déclare : «Sur l'acte de vente, il est clairement mentionné que le terrain est viabilisé, la même chose sur le cahier des charges, dans la réalité c'est tout autre chose et l'Urban ne veut rien reconnaître. Ce n'est pas normal. Ce qui m'est arrivé à moi est à l'origine de la mévente des autres lots parce que justement, il n'y a pas d'énergie électrique.»A l'Urban, le P-DG nous déclare que le centre d'études n'est pas responsable de cette situation et que l'investisseur se doit de prendre en charge le branchement de son usine sur le réseau électrique. «L'Urban a réalisé l'éclairage public, les trottoirs, l'assainissement, l'AEP, son rôle s'arrête là», soutient-il. Or, sur le terrain, nous avons constaté par nous-mêmes que l'éclairage public est inexistant et qu'il n'y a même pas de courant électrique. L'affaire a été portée devant la justice qui tranchera la question très prochainement. Les déboires de cet investisseur en ont découragé plus d'un et la situation va de mal en pis. Dans la zone industrielle d'El Allelik, certaines unités ont fermé, certains se sont converties dans «l'import-import» et d'autres se sont délocalisées pour s'implanter dans d'autres wilayas plus attractives.La situation des zones industrielles à Annaba n'est pas du tout enviable et si certaines unités tournent encore malgré tout et envers et contre tout, c'est bien grâce au courage et à la détermination de leurs propriétaires qui n'ont pas encore baissé les bras. Parler de zone industrielle intégrée dans ces conditions revient à mettre la charrue avant les bœufs, il faudrait d'abord nettoyer les écuries d'Augias avant de penser à pareille organisation.