à l'occasion de la commémoration du 25ème anniversaire de la disparition du grand peintre M'hamed Issiakhem en cette funeste date du 1er décembre 1985, le Musée national d'art moderne et contemporain d'Alger (Mama) organise une exposition regroupant des œuvres du maître, et se poursuivra jusqu'au 31 janvier prochain. Il est également prévu, aujourd'hui et demain, une table ronde autour de la thématique «la place de l'art contemporain dans les pays émergents» animée par des spécialistes au niveau du Mama. Issiakhem, «l'œil de lynx», comme le surnommait son ami Kateb Yacine pour sa lucidité, a percé l'âme humaine et ses tourments. Il est considéré aujourd'hui comme l'un des grands maîtres de l'art contemporain algérien.Il est né le 17 juin 1928 près d'Azzefoun, mais il vivra la majorité de son enfance et son adolescence à Relizane où s'étaient installés ses parents. C'est dans cette ville que, le 27 juillet 1943, la vie du jeune M'hamed va connaître un tragique tournant qui, paradoxalement, sera la sève créatrice qui irrigue la plupart de ses œuvres. Le jeune adolescent va manipuler une grenade subtilisée dans un camp militaire américain. Le jeu d'enfant va se transformer en un drame meurtrier, provoquant une explosion qui tue deux de ses sœurs et son neveu. Le jeune Issiakhem est lui-même amputé du bras gauche, des orteils, une phalange et gardera des éclats dans la main et les yeux. Toute sa vie, l'artiste portera dans son corps et dans son âme les stigmates des tourments indélébiles de cette tragédie, d'autant plus que sa propre mère ne le lui pardonnera pas et le rejettera.A ce propos, Kateb Yacine avait écrit en 1977 : «Grenade contre grenade, toute sa peinture est une explosion, la même qui fait de lui le peintre des martyrs, la même dont il retient les éclats dans son corps […] Mais l'enfer où il vit est la plus belle des fonderies, car c'est là qu'il travaille avec la rage des fondateurs. Et ce travail se fait par bond, ou par sursaut imprévisible, un travail de volcan à l'intérieur de l'homme, pour qu'il puisse dire : ‘' Je me suis fait moi-même, je reviens du néant, et j'ai lutté contre la mort, grenade contre grenade''.»Ainsi, meurtri par ces tragiques évènements, Issiakhem quittera le foyer familial en 1947 pour débarquer à Alger où il s'inscrit à la Société des Beaux-Arts. Elève de Mohamed Racim, il excellera dans l'enluminure et la miniature. Il se lie d'amitié avec Kateb Yacine en 1951 qu'il retrouve plus tard à Paris où Issiakhem expose à la galerie André-Maurice et entre à l'Ecole supérieure des beaux-arts de Paris.Son portrait de Djamila Bouhired, lors de son procès, sera largement repris et diffusé par les militants du FLN. Boursier de la Casa Velasquez à Madrid en 1962, M'hamed préfère retourner en Algérie indépendante. A nouveau, en compagnie de Kateb Yacine, il rejoint le quotidien Alger républicain où il passera deux années en tant que dessinateur. Membre fondateur de l'Union nationale des arts plastiques (Unap), il rejoint l'Ecole nationale des beaux-arts d'Alger où il devient enseignant en 1964.Il est nommé, en 1966, directeur de l'Ecole des beaux-arts d'Oran. En 1969, il obtient au Festival panafricain d'Alger le premier prix pour son œuvre A la mémoire de… En 1971, il est professeur d'art graphique à l'Ecole polytechnique d'architecture et d'urbanisme d'Alger (EPAU).Issiakhem s'est également occupé de la création de timbres-poste et de billets de banque et participa à la réalisation des fresques du Musée central de l'armée. Il réalise l'illustration du roman Nedjma de Kateb Yacine en 1967 et assure les décors des films la Voie de Mohamed Slim Ryad et Novembre de Damerdji en 1968 et 1971. Il reçoit de nombreuses distinctions, dont le premier Simba d'or de la peinture, une distinction de l'Unesco pour l'Afrique, remise à Rome en 1980. Il recevra également le 5 juillet 1987, à titre posthume, la médaille du Mérite national.Issiakhem n'aimait pas de son vivant être catalogué en tant que peintre figuratif ou abstrait, il préférait être considéré comme un peintre expressionniste. En effet, à travers ses œuvres aux courbes et couleurs translucides, il a exprimé toutes les douleurs, mais surtout l'espoir d'un peuple martyr, dont la femme et surtout la mère était son sujet récurrent. Pour conclure, citons Mohamed Issiakhem qui, dans l'une de ses dernières interviews publiées en mai 1985 dans Révolution africaine, soulignait : «Il faut que la peinture cesse d'être le monopole d'une petite classe qui a le moyen d'acheter les tableaux. Il faut élargir le terrain, faire en sorte que la peinture soit accessible au plus grand nombre et non à une minorité d'intellectuels. Mais pour cela, il faut changer les mentalités. Il faut que l'artiste cesse de dire ‘'Je vaux tant !'' Il faut accepter que ton œuvre, financièrement parlant, ne vaut rien ou peu, c'est comme cela que je conçois le militant de la peinture.» S. A.