Photo : S. Zoheir Par Lyes Menacer «À Notre-Dame d'Afrique. André Di Pizzo. Armateur», lit-on sur une plaque de marbre sur laquelle sont également sculptées des figures représentant deux petits bateaux, à l'entrée de la basilique Notre-Dame d'Afrique. Cent soixante ans après sa construction sur les hauteurs de Bologhine (ex-Saint-Eugène), au nord-ouest d'Alger, Madame l'Afrique, comme on aime la désigner aussi, veille toujours sur les marins qui naviguent en Méditerranée.En ce jeudi pluvieux, du haut de la falaise qui se prolonge dans la mer, Lalla Myriem a ouvert ses portes, comme à l'accoutumée, à des dizaines de visiteurs. Certains viennent en curieux, d'autres pour demander sa bénédiction. Lalla Myriem répond à la prière de tous, qu'ils soient chrétiens, juifs ou musulmans. En témoignent les centaines de plaques de marbre couvrant les murs de la basilique et qui portent les messages de remerciements de plusieurs dizaines de personnes, de familles et de missionnaires anonymes qui ont vu leurs prières exaucées. «Reconnaissance éternelle à Marie. D'un médecin d'Afrique. Famille Triviot août 1882», «Ex Vito 30 juin 1877 I. S.», «Merci à Notre Mère de nous avoir sauvés de la fièvre jaune. A. G. C.», «Reconnaissance à Marie pour mon baptême. 25 déc. 1872. Pour mon serment de missionnaire», sont autant de messages de reconnaissance de ceux qui ont cru en le pouvoir de Marie, la femme qui a donné naissance à Jésus-Christ il y a deux mille ans. Une œuvre architecturale Une légende raconte que deux femmes arabes musulmanes venaient régulièrement prier à l'endroit même qui avait servi à la construction de la basilique, demandant à l'évêque de l'époque de bâtir un grand lieu de prière ouvert à tous les hommes. Ce qu'il commença à faire avant l'arrivée du cardinal Lavigerie qui donna un véritable coup de pouce pour les travaux de réalisation du joyau architectural, de type byzantin, œuvre de l'architecte Jean-Eugène Fromageau. Il a fallu quatorze ans pour achever le projet qui sera inauguré en 1872 par le cardinal Lavigerie lui-même. Une statue en bronze le représentant, le regard rivé vers l'Est, tenant dans sa main gauche la Sainte Bible, a été érigée à sa mémoire. Cet homme de Dieu exauça ainsi le vœu pieu des deux femmes qui, comme l'explique le père Mathieu rencontré sur place, ont été enterrées sur les lieux. Selon le père Mathieu, l'une de ces deux vieilles musulmanes a été enterrée dans l'enceinte de la basilique et l'autre dans l'ancienne petite chapelle, située de l'autre côté de la route où se trouve par ailleurs la résidence des serviteurs de Notre-Dame d'Afrique. Au bas de la fresque réalisée sur la paroi de la voûte de l'abside, on peut lire cette très significative inscription : «Notre-Dame d'Afrique, priez pour nous et pour les musulmans.» D'autres inscriptions ornent les deux autres voûtes latérales de l'église. «Pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu'on aime» ou encore «l'amour fraternel vient de Dieu. Il est Dieu même», lit-on sous ces voûtes. Ces phrases sont reproduites aussi en langue arabe et en tamazight. Dans l'espace qui sert d'autel pour les messes quotidiennes, des visiteurs allument des bougies parfumées à la lavande et au jasmin. D'autres allument de l'encens dont l'odeur agrémente la musique de l'orgue diffusée par des enceintes discrètement installées dans tous les coins de murs. L'orgue de Notre-Dame d'Afrique, vieux d'une centaine d'années, provient d'une famille anglaise qui avait habité en Algérie il y a quatre-vingts ans. «J'ai récemment visité la villa Georges», raconte le curé rencontré sur place. L'instrument musical a été transféré en France, à Vaison-la-Romaine, en 2001, pour les besoins des travaux de réfection. Le 31 mai 2002, l'orgue, sur lequel jouait le pianiste et non moins organiste français Camille Saint-Saëns, a été restitué à la basilique complètement restauré. Des organistes ont repris les mélodies jouées par leur collègue français et enregistrée sur un CD. Une union, une restauration Fortement touchée par le séisme de 2003 qui avait ébranlé la ville de Boumerdès et ses environs, l'église a subi des travaux de restauration ayant coûté environ cinq millions d'euros. Considérée comme la sœur jumelle de l'église marseillaise Notre-Dame-de-la-Garde, la basilique de Lalla Myriem a refait peau neuve. Elle a été inaugurée lundi 13 décembre 2010 après trois ans de travaux, réalisés par l'entreprise qui avait restauré Notre-Dame-de-la-Garde, grâce à la contribution financière de plusieurs partenaires, dont la France et l'Algérie, en plus des donateurs anonymes, parmi eux de simples visiteurs qui jetaient quelques pièces de monnaie dans la tirelire placée à l'intérieur de la basilique.Tout en remerciant ces âmes généreuses qui versent aussi de la petite monnaie dans une autre caisse dédiée aux pauvres, le père Mathieu poursuit ses explications et petites anecdotes qui semblaient intéresser de jeunes collégiens et lycéens venus lui demander des explications sur chaque objet ornant l'enceinte de Madame l'Afrique. Du haut de ses soixante-dix ans, dont quarante-cinq au service de l'église en Algérie, le père explique à ces esprits curieux la signification des petites icônes en bois accrochées sur les murs de la basilique, au nombre de quatorze. «C'est le chemin de la croix qui retrace les principales étapes de la crucifixion du Christ, comme c'est indiqué dans notre Sainte Bible», explique-t-il à un jeune couple qui lui demande ensuite d'où viennent les bateaux en miniature pendant sous la poutre et deux minuscules tiges métalliques. «Des marins pêcheurs et des soldats ont fabriqué ces voiliers et ils les ont offerts à cette église pour remercier Marie de les avoir sauvés d'un naufrage ou du déchaînement d'une tempête», explique ce curé qui prie à chaque fois les jeunes adolescents d'enlever leur casquette ou bonnet, leur précisant, avec le sourire, une voix presque éteinte, qu'il s'agit d'un lieu de prière. De temps à autre, des hommes âgés interrompaient le passionnant récit du curé pour s'enquérir des nouvelles des anciens serviteurs de ce lieu de prière et de méditation. Un jeune, la quarantaine, était déçu de savoir que l'ancien archevêque d'Algérie, Monseigneur Tessier, n'était plus à Alger mais à Tlemcen. Un autre visiteur, accompagné d'amis étrangers, visiblement des Français d'Algérie, demande à voir l'évêque Thierry Becker, installé depuis des années à Oran, mais qui était venu assister à la cérémonie d'inauguration de Notre-Dame d'Afrique, lundi dernier. Cohabitation des trois religions Ces liens d'amitié entre les serviteurs de la basilique surplombant le grand cimetière chrétien et israélite de Bologhine sont le résultat d'une vieille cohabitation des trois religions monothéistes en Algérie, notamment dans l'ouest du pays lorsque les anciens musulmans et morisques avaient été définitivement expulsés d'Andalousie (Espagne) au début des années 1 600. Il suffit par ailleurs de voir les rapports entretenus entre les pères et les sœurs présents à la basilique de Notre-Dame et les habitants des quartiers alentour pour constater la force des rapports cordiaux animant leurs contacts quotidiens. Si au plus fort de la violence islamiste de la décennie noire de 1990 un vide s'était installé entre l'église et son voisinage, aujourd'hui, le climat de méfiance cédé la place aux relations humaines chaleureuses entre les bonnes sœurs et ces femmes musulmanes voilées qui viennent allumer une bougie devant la statue en bronze représentant la Vierge Marie. Cette statue trône au milieu de l'autel où sont déposées des gerbes de fleurs par des citoyens anonymes qui, comme ces marins qui ont cru en le pouvoir de Lalla Myriem, reviennent prier et la remercier à leur manière d'avoir exaucé leurs prières.