La Côte d'Ivoire en ballottage depuis l'élection du 28 novembre pourrait bien vivre une semaine décisive dans la crise qui l'étouffe. Outre l'appel, d'un côté à la manifestation, de l'autre à la désobéissance civile, une importante mission africaine tentera de trouver une issue au bras de fer en place et de faire l'économie d'une situation désastreuse pour le pays et la région. Les partis politiques pro-Ouattara passent à la contre-attaque et appellent à «cesser les activités» dans tout le pays «jusqu'au départ du pouvoir de Laurent Gbagbo». Les partisans du président sortant, Laurent Gbagbo, ne sont pas en reste. Ils prévoient de leur côté de manifester contre l'interventionnisme des puissances internationales et le parti pris de la mission de l'ONU en Côte d'ivoire. C'est dans ce contexte de bouillonnement que les chefs d'Etats de la Sierra Léone, du Cap-Vert et du Bénin seront à Abidjan. Mission : tenter de convaincre Laurent Gbagbo de quitter le pouvoir. Délégués par la Cedeao, la communauté économique des Etats d'Afrique de l'Ouest, Ernest Koroma, Pedro Pires et Boni Yayi auront, néanmoins, la partie ardue. Les menaces de recourir à la force par la Cedeao, n'ont pas été du goût de Gbagbo qui s'était dit prêt à négocier mais pas sous l'intimidation. Il est vrai que, rares, sont les chefs d'Etat africains qui pourraient donner des «leçons de démocratie» et de respect des institutions en place. «Dans les réunions des pays africains, les représentants des pays occidentaux sont plus nombreux dans les couloirs que les Africains. Les pressions sont énormes. On n'en peut plus. Et quand on subit ce que je subis, on se dit que Robert Mugabe n'avait pas totalement tort», dira Gbagbo, dans l'interview donné au journal français, le Figaro. Le président sortant de Côte d'Ivoire a tenu à dénoncer un complot de Paris et de Washington. Gbagbo incrimine l'attitude douteuse des ambassadeurs de France et des Etats-Unis à Abidjan dans les jours qui ont suivi l'élection du 28 novembre. Sûr de son droit, Gbagbo déclare qu'il ne se retirerait pas de lui-même puisque le Conseil constitutionnel l'a déclaré président de Côte d'Ivoire. La partie adverse fait monter d'un cran son opposition. La coalition soutenant Ouattara, le Rassemblement des Houphouétistes pour la démocratie et la paix (RHDP), appelle à «cesser les activités jusqu'au départ du pouvoir de Laurent Gbagbo». Cette demande fait suite à «un appel à la désobéissance», lancé le 21 décembre par Guillaume Soro, le Premier ministre de Ouattara. Les pressions extérieures se font plus prononcées. La Maison-Blanche a dit soutenir le rôle de la Cedeao dans la crise ivoirienne et a nouveau exigé de Gbagbo de renoncer au pouvoir. La situation de blocage actuelle pourrait radicaliser les diverses positions. Le risque d'une explosion de violences pires que celles dénoncées par l'ONU qui a parlé de 173 morts, est de plus en plus palpable. Presque seul contre tous, Gbagbo, surnommé le boulanger pour sa capacité à rouler ses adversaires dans la farine, est soumis avec ses proches à des sanctions internationales de plus en plus étouffantes. Après tout, il ne sera pas le premier président africain à exercer le pouvoir après des élections controversées. Gbagbo espère tabler sur le sentiment national, de la souveraineté violée, du refus des ingérences étrangères assimilées au néocolonialisme, pour affirmer son pouvoir intérieur vis-à-vis des condamnations des puissances occidentales. L'un des plus fidèles reste Charles Blé Goudé, leader des «jeunes patriotes», mobilise déjà ses militants en vue d'un immense rassemblement à Abidjan pour la défense de «la dignité et de la souveraineté» de la Côte d'Ivoire. Les appréhensions face au risque de nouvelles violences poussent de plus en plus d'Ivoiriens à quitter leur pays et se refugier dans les pays voisins. 14 000 l'ont déjà fait, selon le Haut-commissariat de l'ONU pour les réfugiés (HCR). L'avenir du pays des Eléphants est ouvert à toutes les éventualités. Le scénario du pire est le retour à la guerre civile avec son lot de sang et de larmes. La Côte d'Ivoire risquerait alors d'être durablement ruinée. Une situation qui ne manquerait pas d'avoir des effets négatifs sur l'ensemble de l'Afrique de l'Ouest. Cette région du continent, étant constituée de pays géographiquement petits, les soubresauts ne manqueront pas de se faire sentir chez les voisins. Autre scénario possible : le départ volontaire de Gbagbo après avoir négocié son avenir. Pour l'heure, le statu quo est de mise. Il est difficile d'envisager le départ de Laurent Gbagbo par la force militaire. Une opération armée contre lui pourrait provoquer un véritable carnage dans un pays à la diversité ethnique complexe. Les plus lucides des observateurs tablent sur les divisions internes au sein du camp Gbagbo. Certains de ses partisans pourraient comprendre l'inéluctabilité du respect du choix de la majorité du peuple. Avec un pays stable, l'avenir politique est plus ouvert. La possibilité d'une intervention militaire de la Cedeao a été accueillie avec circonspection par une presse ivoirienne qui continue de fonctionner normalement. «Le prix à payer risque d'être très lourd», écrit l'Intelligent d'Abidjan. Dans ce cas de figure extrême, «l'armée ivoirienne pourrait, non pas par peur, mais par réalisme, agiter le drapeau blanc de la paix, et refuser une guerre qui fera tant de morts, et pour laquelle, elle n'aura pas assez de munitions ni de moyens aériens face aux armées de 15 pays africains». Tout le monde redoute «la guérilla urbaine et la palestinisation de la crise ivoirienne», poursuit le quotidien abidjanais. «Au fond, personne ne souhaite vraiment que le recours à l'option militaire devienne une réalité». Seul le journal Partis politiques estime que l'action militaire reste, dans le contexte actuel, une option politique. Le journal pro-Ouattara n'hésite pas à faire un rapprochement entre Laurent Gbagbo et Slobodan Milosevic. «Il existe de telles similitudes, qu'on peut préconiser contre le premier les mesures que l'OTAN s'est résolue à prendre vis-à-vis du second, lors de la guerre du Kosovo.» Il est symptomatique que Laurent Gbagbo préfère être le président en exercice d'un pays en crise, voire ruiné, que l'ex-président d'un pays en bonne santé. La tentation Mugabe demeure forte. Seulement Gbagbo part avec un handicap : il n'a pas la légitimité historique du vieux dirigeant du Zimbabwe. M. B.