Le compositeur talentueux, avec un riche palmarès, des études et une réputation qui a dépassé les frontières Safy Boutella peut aussi avoir de l'humour si nécessaire et mettre le doigt là où ça fait mal. L'artiste en question fait des rêves là où il est question de «tutelle», de contrôle et de censure administratifs et de monopole sur la création, surtout si celle-ci porte sur le mouvement national, la guerre d'indépendance, la pratique religieuse, les «symboles de l'Algérie et ses valeurs, aux symboles de la révolution» et autres problématiques à forte valeur ajoutée idéologique et de dressage des gens… Faut-il en rire ou en pleurer en presque 2011, à une époque où le cinéma et la musique de plus en plus populaires, de plus en plus rentables n'ont ni frontières, ni tabous, ni aucune limite dans les progrès technologiques, l'imagination créative qui ne connaît aucun rivage.Safy Boutella à partir d'Oran nous apprend qu'il a déposé un dossier «pour la création d'une école de musique depuis 2006, mais celui-ci doit être perdu entre la Présidence et le ministère de la Culture qui le renvoient de l'un à l'autre». Ces propos ont été tenus lors de la 4ème édition du Fifao durant une table ronde sur la musique de films. Le compositeur, qui avait fait une entrée fracassante sur la scène musicale internationale avec l'album Kutche, avec Khaled, met les pieds dans le plat comme à son habitude et fait mesurer la distance qui sépare l'administration de la création artistique. La distance, dans tous les pays arabes, est énorme, s'élargit chaque année avec les progrès, au sein de la société, des courants salafistes, wahhabites, aux couleurs sombres des talibans afghans et des imams des clergés officiels qui régentent les mœurs et les régimes vestimentaires et alimentaires du monde arabe où la culture et ses manifestations sont réduites au folklore, aux rites et rituels commémoratifs, et essentiellement verrouillées par les fantasmes, les peurs irrationnels et les rejets des dirigeants. En Algérie, les tendances anti-intellectuelles qui ont marqué une séquence animée par une minorité de dirigeants de la lutte armée sont réactivées aujourd'hui vis-à-vis des arts de la représentation des corps, du texte chanté, du théâtre et essentiellement pour castrer les réalisateurs de films. On sait depuis Lénine que «de tous les arts le cinéma est le plus populaire». C'est donc là qu'il faut tout le savoir-faire, les duplicités et les reniements de la bureaucratie et de ses alliés «éclairés» qui cautionnent les censures.Effectivement, une école de musique, différente des traditionnels conservatoires et des écoles communales, n'est à l'évidence pas à l'ordre du jour. Le développement industriel du cinéma, les PME, PMI (privées) les industries techniques, la liberté de créer, d'entreprendre, de créer de vastes circuits d'exploitation, de distribution et, bien entendu, une production quantitative (30 à 40 longs métrages annuels pour commencer) ne sont pas à l'ordre du jour. Alors, une école de musique de films ? Et pourquoi pas, école de danse par wilaya ? Définitivement dans le sillage culturel des pays de la Ligue arabe, l'Algérie n'a que faire d'un cinéma national. Il suffit de restaurer quelques salles par le Trésor public, de désigner des gérants «diplômés» qui seront autant de fonctionnaires de l'Etat, obéissants, une commission qui formate les scenarii et en même temps les postulants et les films, et de finaliser un bilan. Combien y a-t-il de revues de cinéma par pays dans le monde arabe ? Comme dans les belles années du parti unique, on «meuble» les festivals arabes par une table ronde sur… la critique de films, une autre sur «littérature et cinéma» comme on faisait dans les grands pays avant la réception satellitaire de centaines d'œuvres par jour. Si le cinéma n'est pas et ne sera jamais le réel mais producteur de «l'effet de réalité», en Algérie, il est une parfaite illusion avec moult textes, organismes, organigrammes, budgets, commissions, plus nombreux que les films, les salles, les spectateurs et les recettes. Des illusions mais nourricières pour les illusionnistes, puisque, dans un pays sans industries du film, sans une seule revue spécialisée, on bavarde sur la… critique et on espère «détourner» les artistes de festivals «pro» où il y aura toujours plus de créateurs arabes, parmi les meilleurs, que dans plusieurs «festivals» non agréés comme leurs récompenses. Mais heureusement qu'avec le temps, les illusions se dissipent et que vieillissent les illusionnistes, dépérissent les systèmes culturels illusoires au profit des novateurs audacieux. Mais que de temps et d'argent perdus à faire du surplace ! A. B.