Photo : S. Zoheir Par Noureddine Khelassi Au cours des années quatre-vingt, Omar Azredj, journaliste, poète talentueux et surtout fin connaisseur de la sociologie politique de son pays, avait, d'un seul vers, résumé l'inéluctabilité des réformes politiques. On dirait aujourd'hui une nécessaire ouverture démocratique. Dans un recueil envoyé au pilon par la police politique, il apostropha le FLN, alors parti unique du pouvoir, en lui conseillant de «se rénover», de «devenir pluriel» ou de se «dissiper». Vingt-sept ans après, cette harangue poétique reste d'actualité. Alors que les révolutions populaires tunisienne et égyptienne ont dévitalisé l'insupportable discours sur l'incapacité structurelle des pays arabes à se transformer en démocraties, le régime algérien est puissamment interpellé sur sa propre capacité à favoriser les conditions d'une transition démocratique consensuelle, graduelle et ordonnée. Certes, le président de la République, chef de l'Etat et détenteur des pouvoirs, de tous les pouvoirs conférés par la Constitution, a déjà annoncé des mesures d'assouplissement politique, notamment une levée prochaine de l'état d'urgence et l'accès libre des partis politiques à la télévision et à la radio sous contrôle de l'Etat. Ces timides concessions sont évidemment insuffisantes et d'aucuns, impatients ou insatisfaits, diront qu'elles sont les résultats collatéraux de la pression des «rues» tunisienne et égyptienne. Et que le chef de l'Etat joue dans le registre de la prévention. En fin de compte, qu'importe le flacon politique, pourvu qu'on ait l'ivresse démocratique, même à dose homéopathique ! A en croire des informations de presse, opportunément fuitées, le chef de l'Etat, qui laisse rarement deviner ses intentions réelles, préparerait un remaniement ministériel «significatif» et annoncerait sous peu la levée de l'état d'urgence - le 18 février, selon un membre de l'Alliance présidentielle. Il annoncerait aussi l'agrément de nouveaux partis et la liberté de créer de nouveaux titres de presse. Cette démarche graduée, loin d'être conforme à la révolution sociale en marche dans le monde arabe, renseigne toutefois sur l'état d'esprit au sein du régime : l'autisme politique est dangereux pour la stabilité du pays. Bref, le statu quo est intenable et la survie du régime lui-même dépend de sa capacité à être mobile et à générer des dynamiques politiques salutaires, pour lui-même et pour le pays. Quelque chose dans l'air du temps nous dit que le régime n'aurait pas abdiqué ses capacités de réflexion et de projection dans l'avenir. Que son premier représentant au sommet de l'Etat aurait gardé tout de même le souci de s'inscrire dans l'Histoire en se conformant à son cours qui ressemble à celui des fleuves. Les exemples tunisien et égyptien, qui dessinent déjà une espérance démocratique, sont là pour rappeler que la surdité et la cécité ne mènent pas aux grandes portes de l'Histoire. A moins de se cristalliser dans le glacis politique, le chef de l'Etat et d'autres sages au sein du régime, auxquels on ne peut faire un procès en déficit de sagacité, ont sans doute compris qu'on ne soigne pas un cancer politique avec de l'aspirine sécuritaire, si vitale soit-elle. Le pacte sécuritaire, nécessaire et indispensable pour vaincre l'hydre terroriste, a vécu. Tout en donnant aux services compétents tous les moyens de prévention et de lutte contre le terrorisme qui adapte sa menace dans le temps et dans l'espace, l'Etat doit favoriser l'émergence d'un pacte démocratique, sortir l'économie du pays de son carcan spéculatif et rentier et, last but not least, réduire de manière significative la fracture numérique en Algérie car la blogosphère et les réseaux sociaux en Algérie restent largement sous-développés par rapport à l'Egypte, à la Tunisie, au Maroc et aux monarchies pétrolières du Golfe - le temps de pénétration Internet en Algérie est l'un des plus faibles du monde arabe, l'Algérie, pays de 36 millions d'habitants, compte moins d'un million d'abonnés alors que la Tunisie, avec ses 10 millions d'habitants, dispose de plus de 3,5 millions d'abonnés.Le défi du pacte démocratique est à la mesure du statut de dragon en devenir qu'est désormais l'Algérie. Ses potentialités économiques et humaines l'en prédisposent, mais pas seulement. Elle est désormais un pays pivot dans une aire géographique large dont le centre de gravité du nouvel ordre régional s'est déplacé vers le Sahel depuis qu'Aqmi en a fait un immense abcès de fixation insécuritaire. L'Algérie n'est pas la Tunisie, non plus l'Egypte, dans l'absolu, c'est certain. Les contextes respectifs sont dissociables. Dans le sens où, en Algérie, l'implosion sociale, si elle advenait, serait plus radicale qu'ailleurs. En Tunisie et au Maroc où existent des classes moyennes larges, entreprenantes et de haut niveau éducatif, les élites politiques, sociales et intellectuelles ont su encadrer, canaliser et verbaliser les énergies protestataires. Ce n'est pas le cas en Algérie où le champ de la contestation est sursaturé par l'émeute (plus de 10 000 mouvements en 2010), devenue le seul moyen d'expression visible et audible.