à la télévision, le visage poupin et pourpre, imprégné d'une froide colère, faisait beau à voir. C'était celui du Premier ministre turc Recep Tayipp Erdogan, protagoniste d'un débat au Forum de Davos sur les conséquences de l'offensive israélienne «Plomb Durci». Son ire contenue, a été certes déclenchée par l'outrecuidante partialité d'un modérateur de débat américain. Le journaliste, un éditorialiste en vue du Washington Post, avait fait la part belle au président israélien, laissé libre de faire son plaidoyer pro domo pour la destruction de Ghaza. Le Premier ministre turc, qui souhaitait répondre, point par point, aux allégations enflammées de l'Israélien, était manifestement outré. Ulcéré par les applaudissements ayant accompagné le discours mythologique et mystificateur du chef de l'Etat hébreu. Il ne pouvait pas non plus accepter d'être apostrophé par l'Israélien. Shimon Peres, voix haute et doigt accusateur, lui avait demandé alors comment il réagirait si Istanbul était attaquée par des tirs de roquettes. Faisant fi du refus de l'animateur, M. Erdogan a pris la parole pour dire son incompréhension et surtout sa tristesse face aux effusions d'enthousiasme devant le discours du chef de l'Etat israélien. A l'adresse de celui-ci, il dira qu'il devait «se sentir un peu coupable» pour avoir «parlé si fort». Et de lui rappeler la froide et insoutenable réalité de la guerre au phosphore blanc : «Vous avez tué des gens, je me souviens des enfants qui sont morts sur la plage.» Assurément, Recep Tayyip Erdogan n'était pas dans le pathos propre à un musulman naturellement solidaire de la tragédie de Ghaza. Il était dans la politique. Ne faisait que de la politique. Lui, qui avait l'habitude de dire qu'il «n'est pas issu de la diplomatie mais de la politique». C'est ce que des milliers de compatriotes ont compris en l'accueillant comme un héros dans son pays. Cette attitude de dignité et de noblesse d'un musulman turcophone tranchait nettement avec celle du secrétaire général de la Ligue arabe, musulman arabophone et courageux comme un ectoplasme. A la télévision, l'Egyptien, témoin direct du panache du Turc, ne faisait pas plaisir à voir. Toute honte bue, il s'était calé profondément dans son fauteuil et s'est abstenu ostensiblement de porter un regard vers l'Israélien et le Turc pendant leurs échanges décroisés. Tout compte fait, la réaction de saine indignation du Premier ministre turc n'est guère surprenante. L'homme est connu pour son franc-parler et son courage moral. Dirigeant charismatique au style flamboyant, ce politique de 54 ans s'est forgé une réputation méritée de démocrate conservateur, de gestionnaire efficace et d'orateur dont la langue n'est pas taillée dans le bois d'ébène. Ni populiste ni autocrate, l'ancien maire d'Istanbul a acquis une forte popularité grâce à l'efficacité de sa gestion de la municipalité. C'est un réformateur voué à la démocratisation de la société turque. Pragmatique, il a été largement loué et admiré pour avoir remis sur pied l'économie, et obtenu en 2005 le lancement de négociations d'adhésion avec l'Union européenne. Sa conversion à la «démocratie conservatrice», ligne de l'AKP, son parti, signe aussi une transformation politique des islamistes. Elle est également l'expression de leur mutation vers un islamisme de gestion et un islam de gouvernement. L'Erdogan de 2009, calme, posé, qui pèse ses mots et jugule son émotion devant l'arrogance de Shimon Peres, est finalement loin de l'Erdogan de 2003, édile d'Istanbul. Cet Erdogan-là, avait récité au cours d'un meeting un poème épique aux connotations religieuses guerrières. A cette époque, ses partisans n'étaient pas de simples militants ou d'ordinaires électeurs. Le militantisme islamiste turc, c'était alors ce mot d'ordre martial : «Les mosquées sont nos casernes, les minarets nos baïonnettes, les dômes nos casques et les croyants nos soldats.» Depuis, Recep Tayyip Erdogan a troqué le kamis islamiste contre des complets de bonne coupe et les diatribes religieuses et populistes contre des argumentaires politiques et économiques. Preuve par la politique, démontrant que l'islamisme pacifiste et gestionnaire n'est pas seulement soluble dans les eaux bleues du Bosphore. N. K.