Photo : S. Zoheir Par Amel Bouakba A force d'attendre, on n'attend plus rien. Une sentence qui sied bien à la jeunesse algérienne. Cette jeunesse qui a tant espéré et qui semble aujourd'hui otage de la désillusion et du désespoir. Dans une Algérie minée par des maux de tous genres, est-il encore permis de rêver et d'espérer ? On serait tenté de dire oui, car l'espoir fait vivre, dit-on. Une Algérie «sans corruption», l'emploi, le logement, un enseignement de qualité, des structures de loisirs… les attentes et les aspirations des jeunes sont nombreuses et les obstacles à leur épanouissement sont tenaces. Le pays est touché par un taux de chômage élevé (officiellement, il avoisine les 10,1%), frappant de plein fouet les jeunes et plus particulièrement les diplômés. Selon une étude de l'Institut Carnegie Moyen-Orient, la population des jeunes diplômés au chômage en Algérie ne cesse de accroitre, dépassant les 21%. Le mal-vivre pousse des milliers de jeunes algériens à quitter le pays, dans l'espoir de trouver le bonheur sous d'autres cieux. A l'exception des enfants de la nomenklatura et des golden boys, les Algériens souffrent d'exclusion et de marginalisation. L'emploi et le logement sont toujours au cœur des préoccupations. Mais les attentes de la jeunesse ne se limitent pas qu'à cela. L'absence de moyens de divertissement et d'infrastructures de distraction est souvent décriée, Internet demeure le seul loisir d'une jeunesse en mal de repères. Tous les dispositifs et les programmes d'emploi destinés aux jeunes ont échoué et montré leur inefficacité. Les différents dispositifs Ansej, Cnac, Angem… ont montré leurs limites. Le lancement des projets des 100 locaux par commune annoncés depuis des années piétine toujours. L'accès au logement demeure encore un rêve inaccessible aux Algériens, malgré les programmes annoncés ici et là pour résorber la crise du logement. Quelque 1,5 million de logements demeurent inoccupés en Algérie, alors que les conditions d'attribution selon les différentes formules sont jugées «opaques». Les jeunes ne croient plus aux promesses des politiciens. Dans un contexte de crise de confiance généralisée entre gouvernants et gouvernés, l'heure est assurément au concret. Les jeunes sont las des discours officiels, ils ont le moral plutôt en berne et de sérieux doutes quant à leur avenir. Nos gouvernants déçoivent de plus en plus. Et les jeunes ne manquent pas une occasion de le leur dire. Le vent de révolte qui souffle depuis quelque temps sur le monde arabe et la colère des rues tunisiennes et égyptiennes devraient amener nos gouvernants à se pencher sérieusement sur les préoccupations d'une jeunesse livrée à elle-même et anticiper une colère aux conséquences imprévisibles. Les dernières émeutes qu'a connues le pays sont un signal fort que les autorités du pays doivent saisir. Elles doivent comprendre la portée des protestations des jeunes tourmentés. A travers le suicide par immolation, les jeunes expriment un sentiment de pessimisme et de profond désespoir. Dans leurs discours officiels, nos politiciens ne cessent de plaider la cause des jeunes, mais les actes ne suivent pas. Tout récemment, Abdelaziz Belkhadem, ministre d'Etat, représentant personnel du président de la République, s'exprimait sur cette importante partie de la société. Il estimait que les jeunes sont l'avenir de la nation et qu'il était important d'être attentif à leurs préoccupations et de connaître leurs aspirations. Joli discours, mais contredit, hélas, par la réalité du terrain. Ces jeunes se demandent ce qui est fait réellement pour répondre à leurs besoins. Nos gouvernants sont appelés à leur redonner espoir, à travers leur prise en charge réelle. Ils seraient plus avisés d'être à leur écoute. C'est aussi l'avis des sociologues, pour qui la violence ayant caractérisé les récentes protestations de jeunes en Algérie est l'expression de l'exclusion sociale dont ils sont victimes.Mohamed Saïb Musette, chercheur au Centre de recherche en économie appliquée et développement (Cread) expliquait récemment que les jeunes manifestants se sentent exclus de tous les avantages sociaux et ne bénéficient d'aucun moyen de distraction, citant aussi l'exemple des espaces de loisirs existants qui ne sont pas optimisés, «à l'image des centres des jeunes qui ferment à 18h et qui fonctionnent aux horaires de l'administration». Pour l'universitaire et sociologue Nacer Djabi, «les jeunes qui ont manifesté leur mal-vivre, à travers le saccage des édifices publics, voulaient plus attirer l'attention que faire mal». Selon cet universitaire, «l'émeute étant devenue, ces derniers temps, un moyen de gestion», il est impératif que les différents acteurs de la vie politique et sociale du pays, comme les partis politiques, les syndicats et les associations, s'impliquent dans «un processus de socialisation d'une jeunesse délaissée et laissée à son compte». Pour Nasser Djabi, nos gouvernants doivent être attentifs aux revendications des jeunes. Le sociologue préconise «un changement pacifique qui tienne compte des aspirations socio-économiques des jeunes et leur soif de s'exprimer librement». D'autant, a ajouté Nasser Djabi, que «l'Algérie connaît actuellement une conjoncture financière favorable».L'Algérie n'a jamais été aussi riche depuis l'indépendance du pays en juillet 1962. Le pays dispose, en effet, de 155 milliards de dollars de réserves en devises, une aisance financière unique, mais, de l'avis des jeunes, elle «ne profite pas à leur bien-être.» Justement, ces jeunes dénoncent l'accaparement des richesses du pays «par un groupe de privilégiés du système qui amassent des fortunes colossales au détriment du peuple».Malgré une réalité «pesante», nos jeunes rêvent encore d'un pays qui appartienne à tous ses enfants, qui soit nettoyé de la «corruption» qui la gangrène, ils aspirent à une répartition équitable des richesses, notamment celles provenant des hydrocarbures, et à une justice sociale. Reste à espérer que les mesures prises par le président Bouteflika lors du dernier Conseil des ministres auront l'effet escompté et répondront au flot des revendications populaires.