Photo : M. Hacène Par Hasna Yacoub 10h30, hier, place du 1er-Mai à Alger : des centaines de citoyens, répondant au second appel de la Coordination nationale pour le changement et la démocratie (CNCD), crient à gorge déployée «Algérie libre et démocratique». Encerclés par des centaines de policiers malgré leur slogan «marche pacifique», ils n'ont pas réussi à marcher. De nombreuses figures politiques, à l'exemple de Me Bouchachi et Ali Yahia Abdenour, représentants de la Ligue algérienne de la défense des droits de l'Homme, de Benbaïbeche, l'ex-SG du RND, et de l'Organisation nationale des enfants de chouhada, de Abdelkader Merbah, président du Mouvement algérien pour la justice et le développement, de plusieurs députés du RCD étaient présentes aux côtés des nouvelles figures de la CNDC ou encore des jeunes connus aujourd'hui par «les facebookers». Abrika, une des figures des arouch, arrivé au milieu de la foule, n'a dû son salut qu'à certains citoyens et des policiers qui l'ont sauvé d'un véritable lynchage. Durant plus d'une heure, les manifestants et le service d'ordre ont «joué» au chat et à la souris : les contestataires tentent de marcher, le mur de policiers les empêche d'avancer et les disperse une première fois avant qu'ils ne réussissent à se regrouper un peu plus loin. Et pour «briser» le rassemblement, les éléments du service d'ordre ont réussi plusieurs fois à rouvrir la rue Belouizdad à la circulation avant qu'elle ne soit de nouveau reprise par les manifestants.Dans la foule, il n'y avait pas que les manifestants, les policiers et les médias. De nombreux curieux, des jeunes de Belcourt et des quartiers limitrophes, étaient là. Et si certains n'ont pas tari de commentaires, d'autres ont carrément organisé une «marche parallèle» qui n'était, à proprement parler, ni contre la manifestation de la CNCD, ni entièrement pour le pouvoir. Au début, des slogans anti-manifestants ont été criés par les jeunes qui portaient des pancartes fustigeant Saïd Sadi, le leader du RCD. Des insultes ont même été échangées entre les deux groupes de manifestants, séparés par un rempart de policiers. Les jeunes se sont ensuite mis à décrier le Premier ministre, Ahmed Ouyahia, avant de chanter Min Djibalina avec les manifestants de la CNCD, ainsi que «one, two, three, viva l'Algérie». Mais dès qu'ils reprennent en chœur «le peuple veut faire tomber le régime», une scission sépare de nouveau les deux groupes et certains commencent à crier «Bouteflika deyalna (Bouteflika est l'un des nôtres)». L'avantage de cette marche réside dans le débat qu'elle a suscité à ciel ouvert. Tout le long de la rue Belouizdad, des groupes d'une dizaine de personnes chacun se sont formés. Dans chaque groupe, un débat houleux était engagé entre ceux qui exigent le départ du régime et ceux qui ne partagent pas cet avis. Chacun y va de ses arguments. Femmes, jeunes, vieux, étudiants, militants… tous débattaient, certains s'énervaient, d'autres lançaient des accusations gratuites à défaut d'arguments. Mais le débat était là, au cœur de la capitale, sous l'œil attentif des services de sécurité qui ont eu, à plusieurs reprises, à intervenir pour séparer les plus enflammés. Vers midi, un groupe de citoyens commence à crier «le peuple veut la libération du cheikh». Au centre de ce groupe, le frère de Ali Belhadj. Il venait de les informer que l'ex-leader du FIS dissous a été arrêté à la sortie de son domicile. Un slogan qui renvoie à l'Algérie des années 90 est alors scandé : «Etat islamique sans vote.» Des jeunes s'approchent du groupe pour crier : «Fakou [on n'est pas dupe].» Certains ne se gênent pas de rappeler aux militants de l'ex-FIS, comme ils venaient de le faire à ceux de la CNCD, que «beaucoup de jeunes sont morts, et ce sont les meneurs, de tous bords qui en ont récolté les fruits. Une richesse amoncelée sur le dos des morts». Cette jeunesse, qui a refusé d'être encadrée par l'actuelle composition de la CNDC ou d'être récupérée par les militants de l'ex-FIS, a crié fort son slogan : «Nous, les jeunes, nous n'avons pas besoin de leader.» Cette même jeunesse a critiqué le gouvernement, scandé quelques slogans avec la CNCD et porté des portraits de Bouteflika ! Les appels lancés par les manifestants, comme «venez marcher, l'histoire est avec nous», n'ont pas eu d'écho auprès de ces jeunes, de même que le prêche organisé de l'autre côté de la rue Belouizdad par des militants de l'ex-FIS. Cette attitude a suscité des réactions chez les manifestants dont certains regrettaient leur «inconscience politique», alors que d'autres considéraient qu'ils étaient «payés pour casser la marche». Au milieu de cette ambiance un air de «kermesse» s'est installé : des dizaines de pétards ont été jetés au milieu de la foule. Rendez-vous, peut-être, samedi prochain, comme a conclu un citoyen.