La seconde marche à laquelle a appelé la Coordination nationale pour le changement et la démocratie (CNCD) a drainé plus de monde que celle du 12 février, mais elle a été violemment empêchée par la police. Le droit des Algériens de manifester à Alger reste à conquérir. Comme le 12 février dernier, ce droit a été bafoué par les autorités qui ont déployé, hier, un impressionnant dispositif policier pour tuer dans l'œuf cette action des partisans du changement. Et s'il n'y a pas eu d'interpellations de manifestants, les policiers ont, cette fois-ci, fait preuve de brutalité en blessant au moins quatre personnes. Tahar Besbas, député RCD et ancien syndicaliste, a été grièvement blessé et évacué, inconscient, à l'hôpital. Touché au tibia, Malaoui, diabétique, a perdu connaissance. Violemment repoussée par un policier, Fetta Sadat, responsable au RCD et représentante d'Amnesty International, a, elle aussi, perdu connaissance. Pris en étau par une nuée de policiers, Ali Yahia Abdenour, 90 ans et malade, a failli s'étouffer et Me Debouz, essayant de protéger son confrère aîné, a été blessé au tibia. C'est dire que la journée d'hier a été marquée du sceau de la répression. Une trouvaille des forces de l'ordre : dès que des piétons s'attardent dans les alentours de la place du 1er-Mai, ils sont vite sommés de déguerpir. Visiblement, ils ne voulaient pas laisser aux partisans de la CNCD la moindre chance de former un quelconque rassemblement. “Il nous est impossible de nous rassembler. Ils ont tout bouché. C'est la cinquième fois qu'on m'oblige à me déplacer”, s'indigne le député Achour Imazaten, une heure et demie avant le début de la marche. Même les journalistes n'ont pas échappé à la “vigilance” policière. Où qu'ils se placent, ils sont vite priés de changer d'endroit au point de provoquer leur colère, vu l'impossibilité pour eux de travailler. Certains d'entre eux ont été obligés de présenter leurs papiers d'identité. “Il faut écrire qu'on n'a pas laissé les journalistes faire normalement leur travail”, propose une consœur d'un journal arabophone. Empêcher les manifestants de rallier la place du 1er-Mai d'où devait s'ébranler la marche pacifique de la CNCD et gêner les journalistes dans leur travail, voici donc les deux belles prouesses à mettre à l'actif des brigades antiémeutes, en plus, bien sûr, des blessures occasionnées aux personnalités citées plus haut. Pourtant, la place et ses alentours ont été outrageusement quadrillés par les policiers dès les premières heures de la matinée. Selon Ali Yahia Abdenour, président d'honneur de la Ligue algérienne de défense des droits de l'Homme, plus de 40 000 policiers ont été mobilisés. Voulant rectifier l'“erreur” de samedi dernier, les policiers ont assiégé le lieu où s'était tenu le dernier rassemblement. Et, contrairement à la dernière fois, les taxis sont présents cette fois-ci à la station pour encombrer les lieux. Pis, les automobilistes circulaient normalement sur les chaussées occupées par les manifestants et se voient sommés par les policiers d'accélérer dès qu'ils ralentissent. N'empêche, dès 9 heures 45, les manifestants ont réussi à se regrouper juste en face du ministère de la Jeunesse et des Sports, à l'entrée du boulevard Mohamed-Belouizdad. Tenant haut des pancartes sur lesquelles sont écrits des mots d'ordre hostiles au régime et favorables au changement, les manifestants entonnaient, à tue-tête, leurs fameux slogans : “Algérie libre et démocratique” et autres “Pouvoir assassin”. Les policiers les repoussaient violemment vers le quartier de Belcourt dont certains habitants avaient juré la veille d'empêcher les partisans de la CNCD de tenir leur marche. Vers 10 heures 30, arrive Me Ali Yahia Abdenour. Il est accueilli par une salve d'applaudissements. Un rassemblement s'est alors formé et une tentative de marche a été entreprise. Les “Pouvoir assassin”, “Le peuple veut la chute du régime”, “Algérie libre et démocratique” fusaient. Un manifestant hissait le portrait du colonel Amirouche. “Allez vous occupez des criminels. Je reste ici, c'est mon droit de marcher”, lance une dame à un groupe de policières. Une vingtaine de minutes plus tard, Ali Yahia sera encerclé par une nuée de policiers obéissant à leur chef qui leur criait : “Faites-le entrer dans l'immeuble.” Très vieux et malade, Ali Yahia Abdenour a failli étouffer. “Ils n'ont pas honte de bousculer un vieux de 90 ans”, s'indigne un citoyen. Très vite, un groupe de contre-manifestants, des jeunots pour la plupart, s'amène. Des portraits de Bouteflika à la main, ils crient aux manifestants : “Foutez-le camp d'ici. Nous sommes les enfants de Belcourt, nous sommes avec Bouteflika.” Excédé, un jeune partisan de la CNCD répliquait : “Ce pays, c'est celui de Abane et de Ben M'hidi.” Quelques heurts se déclenchent, sans gravité. Là aussi, les policiers se sont distingués par une passivité lourde de sens à l'égard des “contre-manifestants” pendant qu'ils chargeaient sans ménagement les militants de la CNCD. Quant au nombre de manifestants ayant répondu à l'appel de la CNCD, il était incontestablement supérieur à celui de samedi 12 février. “Cette fois, il y a plus de manifestants, mais plus de policiers aussi”, a commenté un citoyen. LIRE TOUT LE DOSSIER EN CLIQUANT ICI