Photo : S. Zoheir Par Hassan Gherab Se dédier à l'art en Algérie est synonyme de combat au quotidien. Cela ne concerne évidemment pas ces opportunistes qui mangent à tous les râteliers, caressent dans le sens du poil et finissent par être sur la scène grâce, non pas à leur talent, souvent inexistant, mais à leurs relations. On ne parle pas non plus de ces artistes ratés, ces clandestins de la culture, qui profitent de la médiocrité ambiante pour faire leur beurre, voire s'imposer comme une valeur sûre et une référence dans le domaine. Ils le font tant et si bien que certains se sont attribué le rang de star, et malheur à qui oserait critiquer leur album, livre ou production. Et en l'absence d'une critique professionnelle, ils ne peuvent que continuer à sévir pour la plus grande gloire de la médiocrité, au grand dam de la qualité qui recule. Ne dit-on pas que la mauvaise monnaie chasse la bonne ?Quant aux authentiques artistes, qui s'interdisent le bradage de leur art, se refusent à prostituer leur talent et n'accordent aucune concession à l'imposture, ils sont condamnés à livrer ce combat au quotidien suscité. Ils ne pourront s'arrêter à la création et la production. Car ils doivent courir, faire du porte-à-porte et antichambre pour trouver des financements, un sponsor, un éditeur, un distributeur, une scène ou une vitrine pour leurs œuvres, et subséquemment des acheteurs, des consommateurs, ce qui leur permettrait, si ce n'est de vivre de leur art, de s'y dédier au moins.Mais la fermeture de la quasi-totalité des salles de cinéma, le manque de distributeurs et de promoteurs professionnels, la rareté des galeries d'exposition, la défection des publics, le rétrécissement du lectorat… ne sont pas pour faciliter la tâche. En l'inexistence d'un marché des arts avec tous ces maillons nécessaires pour le développement et la diffusion d'une production artistique, l'artiste est obligé de se porter sur plusieurs fronts et de multiplier les démarches. La partie est loin d'être gagnée d'avance quand on part avec autant de handicaps.On peut trouver un producteur mais, une fois le film dans la boîte, il faut avoir un distributeur et des salles pour le faire tourner. On peut pondre un manuscrit, mais on n'a pas toujours les moyens de le publier à compte d'auteur et de l'écouler en dépôt-vente. Un album de musique, des toiles de peintures, des spectacles de danse ou des pièces de théâtre ont tout autant besoin de vecteurs de diffusion et d'espaces d'expression. Il y a bien plus d'une centaine de festivals et de salons, mais ce ne sont que des rendez-vous, des pics événementiels qui ne peuvent remplacer le théâtre et les cinémas de quartier, la salle de spectacle de la ville, les petites libraires, les ciné-clubs… C'est tout ça qui manque cruellement pour avoir une production artistique dense et pérenne. Quant à la qualité, elle ne pourra que s'imposer, si les professionnels prennent les rênes. «Chacun son métier, et les vaches seront bien gardées», dit le proverbe. C'est donc cette organisation - qui a fait ses preuves ailleurs - qu'il faut privilégier et mettre en place. On peut trouver dans toutes les villes du pays des bâtiments désaffectés, d'anciens entrepôts ou manufactures qui peuvent être récupérés et aménagés en espaces d'exposition et/ou d'expression, cela sans parler d'anciens théâtres ou cinémas fermés. Ces sites peuvent être confiés à des collectifs d'artistes et des associations qui se chargeraient de leur entretien et animation. En plus de la décision administrative, politique dirons-nous, de réaffectation de tous ces bâtiments inutilisés, les pouvoirs publics devront aussi mettre la main à la poche pour leur réhabilitation. La culture ne peut s'émanciper de l'aide de l'Etat qui est le seul à pouvoir assurer le financement de tous ces chantiers et projets. Et l'argent existe. On a bien accordé des budgets faramineux à des manifestations grandioses dont on aurait pu se passer. Hormis le prestige, qu'avions-nous donc besoin d'accueillir et d'organiser ces manifestations budgétivores ? «El Djazzaïr, année de l'Algérie en France» en 2003, «Alger, capitale de la culture arabe» en 2007, le deuxième Festival panafricain, Panaf en 2009 et aujourd'hui «Tlemcen, capitale de la culture islamique 2011» ont bénéficié d'enveloppes budgétaires se chiffrant en milliards de dinars. Qu'avons-nous gagné ? Qu'est-ce que cela nous a apporté en termes de développement culturel, social et civilisationnel ? A chaque manifestation, promesse nous était faite qu'elle aurait des retombées, trouverait son prolongement dans les années à venir en termes de production, d'animation et d'infrastructures, que ce sera «une mise sur les rails de la culture», dira le commissaire général d'une de ces années culturelles. Mais les promesses sont passées avec les manifestations. Au final, la situation de la culture n'a pas beaucoup changé, même si, en effet et c'est tant mieux, on a réalisé des infrastructures et des productions artistiques. La manifestation passée, toutes ces réalisations sont entrées dans un sommeil cataleptique. Construire, c'est bien, mais on n'avait pas besoin de le faire avec de telles factures. Produire, c'est bien, mais on n'avait pas besoin de productions conjoncturelles qui retombent dans l'oubli avec la chutte d rideau sur la manifestation parce qu'il n'y a pas de salles, de public… Une œuvre n'est rien si elle n'a pas un espace d'expression et un espace d'expression n'est rien sans public. A ce titre, la décision de réintroduire la lecture dans les programmes d'éducation apparaît comme la meilleure «réalisation» de ces dernières années, qui permettra de former un lectorat et des citoyens ouverts à la découverte, à la littérature et à la culture. On devrait en faire autant pour les autres arts, en offrant aux artistes le cadre d'expression dont ils ont besoin, pour qu'ils puissent contribuer à la socialisation de la culture, à l'éducation sociale.