Photo : M. Hacène Par Noureddine Khelassi L'état d'urgence étant abrogé et la lutte antiterroriste désormais coordonnée et chapeautée par l'état-major de l'ANP dans le cadre de lois ordinaires, se pose alors, nécessairement, la question des conséquences politiques de la fin d'un régime juridique d'exception. L'état d'urgence ainsi levé, les pouvoirs publics n'ont pas levé pour autant les interrogations et les doutes relatifs à leur intention de supprimer toutes les entraves à un exercice plein et libre de la politique. Parmi ces libertés, celles de manifester, de créer d'autres partis politiques, journaux, radios et télés. L'intervention récente du ministre de l'Intérieur et des Collectivités locales sur la Chaîne III de la radio publique est plutôt favorable au maintien du statu quo politique. Dans la mesure où les manifestations dans la capitale et dans les autres grandes villes du pays ne seront pas autorisées, alors que la question d'agréer de nouveaux partis n'est pas à l'ordre du jour. Dans les deux cas, le ministre de l'Intérieur a excipé d'impératifs de sécurité et d'arguments d'opportunité, qui peuvent relever de l'appréciation discrétionnaire et élastique de l'autorité avec un grand A. La seule à pouvoir en juger sans obligation de motivation. M. Dahou Ould Kablia, porte-parole de l'autorité en question, était, lui, dans la logique du «oui, mais» ou plutôt du «non, mais», qui permet sans permettre. Qui donne d'une main gauche généreuse ce qu'elle retire promptement d'une main droite restrictive. Tout est donc libre, mais rien n'est finalement permis. Dans cette logique, les marches à Alger et probablement à Oran, Constantine ou Annaba, seront autorisées sous réserve de présenter un dossier administratif tout à fait conforme et d'assurer toutes les garanties de sécurité (risque terroriste à fort écho médiatique) et d'arracher l'assentiment des riverains, notamment des commerçants, soucieux plus que jamais de leur quiétude et de leur chiffre d'affaires. C'est comme si une manifestation démocratique devait satisfaire en même temps à un cahier des charges sécuritaire draconien et à une enquête administrative commodo et incommodo ! M. Dahou Ould Kablia a jugé inopportun le moment d'autoriser de nouvelles formations politiques. La décision pouvant être, selon lui, favorable un jour ou l'autre, à un «moment voulu» dont seule serait juge l'Autorité en question. Autrement dit, pour des temps indéfinis pour ne pas dire qu'elle est renvoyée aux calendes grecques algériennes. Pourtant, l'état d'urgence, décrété pour faire face aux «atteintes graves et persistantes à l'ordre public» et aux «menaces visant la stabilité des institutions et les atteintes graves et répétées portées à l'encontre de la sécurité des citoyens et de la paix civile», a été supprimé. Son abolition élimine de fait les restrictions inhérentes, telles l'interdiction de circulation de personnes et des véhicules, l'institution de zones à «régime de séjour réglementé» pour les non-résidents, les perquisitions de jour et de nuit et, surtout, l'interdiction de «toute manifestation susceptible de troubler l'ordre et la tranquillité publics». De manière plus explicite, l'article 11 du décret présidentiel n°92-44 du 9 février 1992 relatif à l'état d'urgence, et aujourd'hui abrogé, précise que «les mesures et restrictions introduites par le présent décret sont levées dès que prend fin l'état d'urgence, à l'exception des poursuites engagées devant les juridictions». Force est de constater aujourd'hui que ces limitations ne sont pas levées. Et que la fin d'un état juridique d'exception ne met pas encore fin à un état d'exception politique fondé sur une appréciation sécuritaire stricte de la vie publique et une vision restrictive du champ des libertés publiques et de la liberté d'expression. L'ordonnance n°11-03 du 23 février 2011 encadrant les missions de l'ANP en termes de «sauvegarde de l'ordre public hors des situations d'exception» et en matière de lutte antiterroriste se base précisément sur les articles 91 et 93 de la Constitution qui fixent les conditions d'établissement de l'état d'urgence, sa durée et son cadre d'exercice. L'article 93 justifie l'instauration d'un «état d'exception» par l'existence d'un «péril imminent» menaçant le pays «dans ses institutions, dans son indépendance ou dans son intégrité territoriale». Il habilite le chef de l'Etat à «prendre les mesures exceptionnelles que commande la sauvegarde de l'indépendance de la nation et des institutions de la République». Alors même que la menace terroriste est désormais jugée de faible ou de moyenne intensité, l'Algérie fait-elle face présentement à un «péril imminent» qui menacerait les institutions du pays, son indépendance et son intégrité territoriale ? Question subsidiaire, celle-là, des manifestations pacifiques, à l'appel d'une Coordination pour le changement et la démocratie, divisée car mal née, constitueraient-elles un «péril imminent» et menaceraient-elles, outre l'ordre public, les institutions nationales, l'indépendance et l'intégrité territoriale du pays ? Des paysages politique et médiatique, enrichis de nouveaux partis et de nouveaux titres de presse écrite et audiovisuelle privés, créeraient-ils un «péril imminent» qui justifierait le maintien d'un état d'exception politique après la fin d'un état d'exception juridique (état d'urgence) ? Subsidiaires ou essentielles, ces questions sont posées à l'Autorité et livrées à son appréciation, en fonction de sa lecture des bouleversements politiques que vit une scène maghrébine et moyen-orientale en effervescence démocratique. Et conformément à sa vision de l'urgence démocratique.