Photo : Riad Par Amirouche Yazid Source d'instabilité sociale et vu ce qu'elle génère comme contestations quasi cycliques, la question du logement est sur toutes les lèvres. Le citoyen demande, le décideur promet. Tant de demandes ont été satisfaites au cours de l'année dernière. Tant d'autres attendent pour l'année en cours. Et certainement pour celles à venir. Il se trouvera, hélas, des demandes qui n'auront pas de suite. Des espoirs risquent d'être brisés. Même avec le nombre important de logements inscrits de façon officielle, le ministre de l'Habitat ne s'en cache pas et reconnaît qu'un problème existant depuis une dizaine d'années ne saurait être résolu aussi rapidement. Un appel clair à la patience.Nouredine Moussa ne rate pas cependant la moindre sortie médiatique pour mettre en évidence «la volonté politique» des pouvoirs publics à réunir les conditions favorables pour que les familles qui sont dans le besoin puissent bénéficier d'un logement. Le gouvernement compte accélérer la cadence. «Les constructions en cours doivent être achevées dans les délais les plus proches. Des projets sont à l'étude dans toutes les wilayas du pays. Ils seront lancés incessamment. Les anciens projets bloqués sont désormais réanimés», déclarent invariablement les responsables. Le pouvoir ne veut plus avoir à gérer des émeutes et des contestations sur fond de logement. Les autorités locales sont instruites, pour cette finalité, de livrer les logements finis. Les récentes mesures invitent les jeunes - cette catégorie qu'on commence soudainement à intégrer dans les textes - à croire en des lendemains meilleurs dans leur pays. Où un logement digne serait possible. Les officiels annoncent ainsi que les jeunes vont pouvoir bénéficier de 40% du programme du logement promotionnel aidé (LPA). Le Conseil des ministres évoque ainsi «l'amélioration de l'accès des jeunes au logement, d'abord par une vulgarisation des dispositions déjà en vigueur en leur faveur en ce qui concerne le logement social locatif. En outre, un programme additionnel de 50 000 logements promotionnels sera inscrit cette année et sera réservé aux jeunes, sous la forme de vente à tempérament». Les chiffres officiels indiquent que «510 000 unités sont en cours de construction et 400 000 autres en phase de réalisation des études» dans un programme quinquennal qui prévoit l'attribution de 1 200 000 logements d'ici à 2014. Mais le programme est si ambitieux et prometteur qu'il porte en son sein les germes d'une colère sociale. Les autorités locales vivent de terribles pressions de la part des populations depuis les récentes annonces. Il s'agit d'une pression supplémentaire sur les autorités locales, qui, même dépouillées de toute prérogative de décision à ce sujet, se trouvent constamment face aux émeutes. Les élus de Tichy, à Béjaïa, ont fait face hier à une contestation de la population, qui a fermé la route principale de la zone. Les manifestants se sont soulevés pour réclamer l'attribution des 400 logements de la formule LSP, achevés depuis plusieurs années, mais qui sont gardés fermés. A Alger, ce sont 700 familles de la cité Boumaza, à Bachdjarah, qui menacent de descendre dans la rue pour faire aboutir leur revendication. A Zemmouri, des jeunes de la cité dite de recasement ont fermé le siège de l'APC. «Depuis des décennies, vous n'avez rien fait. A notre tour de prendre les choses en main», lancent les jeunes des familles concernées, tout en exigeant la présence du wali de Boumerdès. A Sig, dans la wilaya de Mascara, des squatters ont eu droit à une «audience» de la part des responsables locaux. «C'est toujours la même chanson. On nous parle encore de la constitution d'une commission et d'étudier les dossiers», s'indigne une Sigoise. Message : les postulants au logement sont passés à un autre niveau de revendication. Profitant d'un contexte régional marqué par la multiplication des révoltes, les demandeurs exercent désormais un pressing sur l'administration délibérative.Au déséquilibre entre l'offre et la demande s'ajoute à ce niveau un déficit de communication flagrant. Ce qui exacerbe davantage les tensions autour du logement. Il suffit d'une rumeur circulant dans le quartier pour que la situation dégénère. Ça s'est vérifié il y a quelques jours à Diars Echams. Les mal-logés de ce quartier populaire d'Alger sont sortis dans la rue pour réclamer les logements qu'on leur avait promis. Une réclamation née suite à une rumeur annonçant une opération de livraison de logements et de laquelle ils seraient exclus. Les services de la wilaya se sont sentis dès lors obligés de rassurer les familles inscrites sur la transparence des livraisons à venir. Ce procédé s'avère parfois inopérant en ce sens que les postulants, exaspérés, ne veulent rien entendre de la part des autorités et des responsables.Interrogé sur la portée des différentes mesures facilitant l'accès au logement, un professionnel du secteur s'est montré très pessimiste. Il a estimé à ce sujet que «la gestion technique du dossier risque de poser des problèmes qui paraîtraient résolus dans sa dimension politique». L'appréhension du spécialiste repose sur de faits : une administration lourde et des collectivités locales déconnectées de la réalité du terrain. «On risque de se retrouver en train de déplacer l'enjeu d'un niveau à un autre. Puisque, en vérité, on est en train de gérer l'urgence», explique-t-il.Ces propos ne sont pas dénués de bon sens. Ils sont même confortés par d'autres facteurs. Le plus visible est l'absence d'un fichier national de l'habitat. Maintes fois annoncé par les responsables du secteur, le fameux fichier n'a pas encore vu le jour. Il s'agit pourtant d'un outil nécessaire pour une maîtrise et une bonne organisation de la distribution des logements. C'est aussi un instrument important pour définir les nécessiteux et établir les priorités. Renvoyé aux calendes grecques, le fichier national a ainsi prolongé l'âge du passe-droit, du clientélisme et de la fraude dans un créneau fortement investi par des escrocs.Le fait que le chantier du logement n'ait pas encore été assaini rend manifestement difficile son achèvement. Le ministre a admis, lundi dernier, dans une déclaration à la radio que «la réalisation des logements paraît parfois plus facile que leur distribution». Un aveu d'officiel qui traduit la complexité du terrain en présence d'un afflux persistant et continuel de demandes.