Photo : S. Zoheïr Par Noureddine Khelassi Lentement, timidement même, les voix font chorus et les actions convergent en faveur d'une évolution pacifique vers un système démocratique en Algérie. Pouvoir, opposition, leaders d'opinion et autres voix de la sagesse politique semblent désormais s'accorder sur la nécessité d'un changement organisé, dont il reste à définir le contenu, les modalités, l'agenda et les acteurs. En dehors de la «Rue», inscrite jusqu'ici dans le registre de la protestation sociale, il existe désormais trois courants distincts qui revendiquent le changement démocratique. Avec, il est vrai, des visions et des objectifs différenciés.Le premier, du point de vue chronologique, est celui qui a adopté la «dégage-attitude», posture philosophique inspirée par les masses juvéniles arabes. Il s'agit du courant symbolisé dans un premier temps par la CNDC, la Commission nationale pour le changement et la démocratie, conglomérat politique mal formé, constitué initialement de militants des droits de l'Homme, de syndicalistes libres, d'activistes associatifs et de professionnels de la politique. Cet attelage incertain a fini par se scinder en deux entités. L'une, représentée par une force droit-de-l'hommiste et associative, se veut être apolitique. L'autre, formée par des militants politiques, fonctionne, au gré des samedis des rassemblements algérois contrariés, telle une caisse de résonance du RCD du Dr Saïd Sadi.Pacifiques dans leurs démarches respectives, les deux ailes de la CNCD revendiquent le départ du régime comme préalable à tout changement démocratique dans le pays. A l'instar des expériences tunisienne et égyptienne, elles ont repris à leur compte le slogan «le peuple veut la chute du régime». Encadrés, bordés, voire étouffés par la police qui les cernent à chaque fois comme le porteur du ballon dans une mêlée de rugby, les manifestants du samedi peinent alors à se faire voir et à se faire entendre. Au fil des semaines, leur mouvement s'est étiolé et leur leader Saïd Sadi est de plus en plus évanescent. Quant à l'autre aile, qui affiche le visage de l'avocat Mustapha Bouchachi et s'exprime par sa voix, elle a opté pour une pédagogie de proximité pour mobiliser une opinion algérienne sourde au discours des deux parties de la CNCD et rétive à leurs mots d'ordre.La deuxième ligne de force s'exprime par la voix et la plume d'Abdelhamid Mehri. L'ancien secrétaire général d'un FLN, qu'il a soumis en son temps à une cure de jouvence démocratique, propose une feuille de route pour le changement avec son mode opératoire. Patriote inoxydable et pédagogue de la clarté politique, M. Mehri s'est d'abord adressé au chef de l'Etat, fonction oblige. Mais en a appelé à travers lui aux consciences de ses concitoyens, invités à s'impliquer dans le large débat politique auquel il les exhorte pour éviter les démarches en circuit fermé, notamment le huis clos des «décideurs» du régime.Fin connaisseur du Système, de la mécanique de prise de décision en son sein et, surtout, de sa psychologie complexe, l'ancien membre du Conseil national de la révolution algérienne (CNRA) est déjà porteur d'un constat rassurant : le besoin et la volonté de changement existent au sein du régime, chez toutes ses composantes civiles et militaires. L'approche de M. Mehri est une appréhension systémique qui fait du changement une question nationale. A raison, l'ex-centraliste du MTLD récuse tout changement qui passerait par le simple départ du président de la République ou par des modifications politiques à la marge, dussent-elles être d'essence constitutionnelle. Comme, par exemple, la création du poste de vice-président ou la limitation à deux exercices du mandat présidentiel. Le vieux lion du nationalisme algérien souhaite, en revanche, un débat public large, impliquant la société et l'ensemble des acteurs politiques du pays. Il préconise un changement qui se ferait nécessairement avec le régime. Jamais sans lui ou contre lui. Et dans lequel le président Abdelaziz Bouteflika serait un «acteur important».M. Mehri, voix résonnante en marge du régime et au centre de la scène politique, est appuyé dans sa démarche par M. Hocine Aït Ahmed, l'inlassable porte-drapeau des luttes démocratiques en Algérie. Les deux anciens protagonistes du Contrat de Rome constituent désormais une force de proposition politique et un binôme démocratique qui seront précieux pour éclairer les voies de la réforme.Le troisième pôle est constitué par le président de la République, axe de rotation au sein d'une sphère politique représentée par l'Alliance présidentielle (FLN-RND-MSP), le Parlement et l'acteur silencieux qu'est l'armée. Depuis quelques jours, des réunions, à la présidence de la République, à l'APN et entre partenaires de l'Alliance présidentielle, sont consacrées à des modifications possibles de la Constitution. Selon des fuites distillées dans la presse comme du café bien filtré, il serait notamment question de créer un poste de vice-président, de limiter la durée du mandat présidentiel et de définir de manière plus précise la nature du régime.Le régime algérien c'est, en effet, quelque chose qui ressemblerait à un «OCNI», un objet constitutionnel non identifié. Bien malin serait donc celui qui parviendrait à le qualifier. D'ailleurs, le président Abdelaziz Bouteflika a déjà eu à se plaindre lui-même de ce corps difforme qui n'est ni tout à fait parlementaire ni parfaitement présidentiel. Pas plus qu'il n'est semi-parlementaire ou semi-présidentiel. Dans la pratique, le régime est présidentiel, parfois présidentialiste, anticonstitutionnel ou inconstitutionnel comme lorsqu'il interdit de créer des partis et de manifester pacifiquement. Le pouvoir qui le représente est à la fois civil et militaire. Visible et invisible. Concentré et dilué. Théorique et pratique.L'idée serait donc de fonder un régime clair, qui serait franchement présidentiel ou nettement parlementaire ou bien, solution médiane, un régime à pouvoirs équilibrés entre le président de la République et un Parlement devant lequel le Premier ministre, issu de la majorité élue, serait pleinement responsable.Le président de la République serait appelé à arbitrer entre ces trois options avant de les soumettre à un éventuel référendum. A moins de faire le choix d'un vaste débat public préalable impliquant les Algériens, invités à dessiner un choix qui ne serait pas celui des seules élites du régime. C'est le sens même de la démarche de M. Abdelhamid Mehri et de son adresse écrite au chef de l'Etat, invité fraternellement à s'inscrire dans le cours de l'histoire démocratique de son peuple.