Il faut reconnaître à Hocine Aït Ahmed le mérite de la constance de ses positions politiques. Après avoir mis en garde contre les risques de l'aventurisme démocratique, qui consiste à vouloir «faire l'histoire en ignorant son histoire», le leader historique du Front des forces socialistes (FFS) s'adresse aux Algériennes et aux Algériens pour les exhorter à construire ensemble une «alternative démocratique et pacifique». Il appelle les Algériens à s'impliquer activement en faveur d'une «véritable construction politique nationale, démocratique, populaire et pacifique». Son discours, de belle facture et aux accents parfois poignants, traduit l'ADN politique du FFS où les génomes démocratiques sont «le droit d'avoir des droits», le leitmotiv «ni Etat intégriste ni Etat policier» et l'autodétermination du peuple algérien. En droite ligne de sa lettre au dernier conseil national du parti, il prône une nouvelle fois un changement pacifique, concerté, ordonné, réfléchi, patient et, finalement, élaboré par l'ensemble des intelligences et des volontés patriotiques. Pour lui, «il n'est pas question de céder à une quelconque «contagion démocratique», manière de dire que la théorie des dominos en politique reste une théorie, pas plus qu'il ne pourrait y avoir d'effet démocratique vertueux ou impératif. Chaque situation nationale est particulière même si l'aspiration démocratique et l'urgence de réformes politiques sont communes à tous les pays arabes, sans exception. Il le rappelle à l'occasion. Et, fait nouveau, Aït Ahmed, qui fut l'un des principaux acteurs du «Contrat de Rome», ne rend pas le régime algérien seul comptable de la tragédie vécue par le pays depuis l'interruption du processus électoral en janvier 1992. «Le malheur de l'Algérie n'aurait pas été si sanglant ni son désarroi si profond, si le choix de l'exclusion n'avait été le fait que du pouvoir», affirme-t-il quand il rappelle la devise du FFS : «ni Etat intégriste ni Etat policier». Dans une allusion claire aux islamistes, notamment au Front islamique du salut dissoues (FIS), son partenaire de l'accord de Sant-Egidio (janvier 1995), le dirigeant historique de la révolution de Novembre 1954 souligne à juste titre qu'il «se trouve que des courants au sein de la société se sont construits exclusivement sur l'apologie de l'exclusion et de la violence». La pique allusive ne concerne donc pas seulement l'islamisme radical armé, dont les dérives sanglantes n'ont jamais été dénoncées de manière nette par les leaders du parti dissous. C'est le sens même de la pensée d'Aït Ahmed qui souligne qu'«il n'en demeure pas moins qu'une clarification de leur part demeure indispensable pour signifier clairement un saut qualitatif dans la formulation du sacré en politique». Autrement dit, les dirigeants du FIS dissous sont priés instamment de faire leur autocritique, voire leur mea culpa, donc, de faire leur aggiornamento politique. Leur part de responsabilité historique est bel et bien engagée. Dans ce discours, le vieux militant du nationalisme et de la démocratie paraît au-dessus des contingences politiques et des turpitudes des hommes, invitant à ne pas confondre la «longue marche vers la liberté et la dignité» du peuple algérien avec les marches sur le bitume, fussent-elles contrariées par la crispation sécuritaire du régime. Il faut donc distinguer marche de l'histoire et «bref footing en ville». Aussi invite-t-il à «choisir entre les instruments du politique et les illusions politiques». Et à cesser de «croire qu'il suffirait de dissoudre des institutions ou des partis pour que sortent de leurs décombres d'autres institutions et d'autres partis pour un usage démocratique» quelconque. A bientôt 85 ans, Hocine Aït Ahmed, qui appelle à l'autodétermination démocratique du peuple algérien, croit que «nous sommes aujourd'hui encore loin d'avoir remporté la bataille de la construction démocratique de la nation et de l'Etat algériens». Mais, il en est convaincu : «nous n'avons jamais été aussi proches d'en voir les prémices, [la construction de l'Etat et de la la Nation étant] portée par des pans entiers de la société». A une époque enregistrant l'émergence de «nouveaux acteurs, de nouvelles générations et de nouvelles méthodes de lutte» pacifiques, le changement est en marche. N. K.