«Les développements dramatiques que connaît la légitime demande populaire de changement démocratique en Libye ont révélé au monde les pics de sauvagerie dont sont capables des dictateurs fous n'ayant de compte à rendre à personne. Et surtout pas à leurs peuples. La crise algérienne s'inscrit naturellement dans le cadre des crises en cours. Pour autant, il n'est pas question de céder à une quelconque contagion démocratique dans l'explication et le traitement de chaque situation nationale.» C'est l'extrait de la lettre que Hocine Aït Ahmed a adressée aux Algériennes et aux Algériens, et dans laquelle il propose «une alternative démocratique et pacifique» à la crise multidimensionnelle que traverse le pays et que laisse transparaître un front social sans cesse en ébullition depuis plusieurs mois. Une lettre dans laquelle il s'étale beaucoup plus sur le constat, alors qu'il était très attendu sur des propositions plus concrètes. Pour l'auteur de la missive, il existe deux «constantes» qui caractérisent les révolutions en cours dans la région, à savoir, d'une part, l'existence de «régimes prédateurs, impopulaires et inaptes à porter la demande de liberté et de dignité de leurs populations» et, d'autre part, une «forte réaffirmation, par les peuples, du droit d'avoir des droits».Tout en rappelant que le peuple algérien a payé un lourd tribut pour cette revendication, Aït Ahmed estime que les mobilisations populaires tunisiennes et égyptiennes rappellent dans «leurs prémices» le «printemps démocratique» algérien, alors que «le scandaleux» bain de sang déclenché par Kadhafi rappelle, quant à lui, la «furie éradicatrice des années 1990 qui a déchaîné - à l'intérieur et à l'extérieur des institutions - des Algériens contre d'autres Algériens durant toute une décennie». Aussi, ajoute-il, «c'est pour que l'Algérie n'ait plus jamais à payer un tel prix pour la maîtrise de son destin qu'il incombe aux Algériens, dans la diversité de leurs convictions et de leurs appartenances, d'indiquer clairement la voie de la construction politique en alternative à la voie de la confusion et de la violence». Et d'avertir pour l'impératif de «mettre à nu les pratiques de dépolitisation et de désarmement moral propagées par les tenants de la violence». «Trop pressés de substituer leur agenda à celui de la société, ils ont voulu profiter de quelques confusions médiatiques soigneusement entretenues pour semer encore une fois le trouble. A chaque fois que cela sera nécessaire, il faudra apporter les clarifications indispensables à une véritable construction politique nationale, démocratique, populaire et pacifique […]. A trop vite oublier que les peuples ont une mémoire, que cette mémoire structure leurs adhésions et leurs rejets, les régimes finissent par perdre tout lien avec leurs sociétés», explique-t-il. Considérant que le combat pour l'indépendance nationale et celui pour la démocratie sont indissociables, le leader du parti d'opposition met, par ailleurs, l'accent sur, entre autres, le nécessaire «rajeunissement des élites» lequel, dira-t-il, «ne doit pas servir à l'odieux dessein de couper les générations en tranches jetables… Ceux qui ont cru que l'une pouvait faire l'économie de l'autre ont fait la preuve de leur échec […]. C'est la part confisquée de démocratie, de liberté, de souveraineté, de citoyenneté, de justice et d'égalité devant la loi dans la construction d'un véritable Etat de droit qui a troublé les lendemains des indépendances. Et c'est cette part de liberté confisquée qui revient périodiquement, portée par de nouvelles générations, pour affirmer, haut et fort, que, sans liberté des individus et des peuples, il n'y a ni indépendance, ni souveraineté nationale, ni développement économique, politique et social». Cinquante ans après la proclamation de l'indépendance du pays, les Algériens sont confrontés à l'absence d'un Etat de droit, de vie politique, de Constitution digne de ce nom et d'institutions légitimes «capables de protéger le peuple autant que le pays des abus et d'assurer son droit à vivre dans la liberté et la dignité», déplore le rédacteur de la lettre. Estimant que l'alternative du peuple algérien ne réside pas forcément dans le choix entre la peste et le choléra, entre un Etat policier ou un Etat intégriste, le rédacteur du texte rappelle qu'il existe «des courants au sein de la société qui se sont construits exclusivement sur l'apologie de l'exclusion et de la violence. Quel que soit le lourd soupçon de manipulation par le pouvoir réel qui pèse sur ces courants, il n'en demeure pas moins qu'une clarification de leur part demeure indispensable pour signifier clairement un saut qualitatif dans la formulation du sacré en politique». Et d'à appeler «la construction d'un système politique qui rende sacrée la préservation du sang des Algériens». Car, «il serait léger de croire qu'il suffirait de dissoudre des institutions ou des partis pour que sortent de leurs décombres d'autres institutions et d'autres partis tout prêts pour un usage démocratique», affirme-t-il. Le dirigeant du parti historique regrette, par ailleurs, que, si des Algériens ont pu briser le mur de la peur pour revendiquer leurs droits, la lassitude et le dégoût ont fini par prendre le dessus et ce, «devant la vénalité et la vassalité des fausses élites imposées à l'ombre de la terreur, de la mafia politico-financière, des élections truquées, des médias sous haute surveillance». L'auteur du texte déplore, en outre, le fait que les «résistances à l'injustice, à la violence et à l'oppression, un ancrage social plus large», ne soient pas accompagnées de «l'aide et du soutien de médias libres et crédibles». La lettre d'Aït Ahmed au peuple algérien s'achève, enfin, par un énième rappel quant à l'une des propositions chères au parti du FFS, à savoir le remplacement de l'actuelle Assemblée par une autre constituante. M. C.