Un drame humanitaire est en train de se dérouler en Côte d'Ivoire où la lutte politique pour la présidentielle s'est transformée en un affrontement armé entre deux camps rivaux. En quatre mois de violence armée allant crescendo entre les forces armées du président sortant Laurent Gbagbo et son successeur Alassane Ouattara, les combats ont déjà fait six cents morts et plusieurs centaines de blessés. Le nombre de déplacés a atteint le million, dont près de la moitié a fui la capitale Abidjan, où les Forces de défense et de sécurité (FDS, loyales à Laurent Gbagbo) sèment une véritable terreur dans les quartiers pro-Ouattara. En l'espace de deux semaines, le nombre de réfugiés au Liberia voisin a explosé, passant de 95000 à presque 300 000, selon un récent rapport du Haut-Commissariat aux réfugiés (HCR) de l'Organisation des Nations unies (ONU). Le nombre de déplacés à l'intérieur du pays s'est lui aussi accru. Les organisations humanitaires affirment éprouver d'énormes difficultés pour acheminer l'aide médicale et alimentaire en raison des barrages dressés par les miliciens de Laurent Gbagbo à travers tous les principaux axes routiers. Les miliciens des FDS assiègent aussi certaines villes, notamment celles où Ouattara dispose d'un important capital de sympathie au sein de la population locale. Des exactions ont été commises par les membres des FDS qui affirment être prêts à se sacrifier pour défendre leur président. Si Alassane Ouattara est officiellement reconnu par la communauté internationale comme le nouveau chef d'Etat, «démocratiquement et légitimement élu» à l'issue de la présidentielle du 28 novembre 2011, sur le terrain, la réalité est tout autre. Son farouche adversaire politique et ennemi juré depuis deux décennies, Laurent Gbagbo, contrôle une grande partie du pays, des forces armées et, surtout, l'économie. Les sanctions politiques et économiques internationales ne semblent pas l'avoir affecté, sachant que c'est toujours le peuple qui paie pour l'aveuglement des politiques. Que faire ? Entre deux affrontements sanglants, des voix s'élèvent pour appeler au calme et à la raison. Que ce soit l'Union africaine, la France qui dispose à Abidjan d'une force de maintien de la paix, l'Onu ou l'Union européenne, aucun appel adressé aux deux camps en guerre n'a eu d'écho favorable. Les violences armées entre les FDS et le FN n'ont pas cessé mais se sont aggravées, alors que des tentatives de médiation étaient menées pour trouver une solution à ce conflit politico-militaire. Laurent Gbagbo refuse d'organiser une nouvelle élection et rejette aussi toute proposition de partage du pouvoir avec Alassane Ouattara. De l'autre côté, M. Ouattara vient de rejeter la nomination par l'Union africaine de l'ex-ministre cap-verdien des Affaires étrangères, José Brito, comme son haut représentant en Côte d'Ivoire. Le camp de M. Ouattara a motivé son refus par le fait que le nouvel émissaire de l'UA entretiendrait des «relations personnelles» avec le président sortant de la Côte d'Ivoire. José Brito a été désigné pour mener une énième tentative de médiation entre les parties en conflit en Côte d'Ivoire, suite au cuisant échec des négociations menées en janvier et février derniers par un panel de cinq chefs d'Etat africains, sous l'égide de l'Onu. Donc, la multiplication des tentatives de médiation et le vote de sanctions diplomatiques et économiques internationales pour pousser Laurent Gbagbo à la porte ne semblent pas être la solution idoine à la crise ivoirienne qui entrera bientôt dans son cinquième mois. Un projet de résolution a été déposé pour vote au niveau du Conseil de sécurité de l'Onu dans l'espoir de contraindre Laurent Gbagbo à partir. Mais celui-ci a clairement affiché sa détermination à demeurer au pouvoir en rassemblant ses partisans, samedi et dimanche, devant son palais présidentiel à Abidjan, théâtre de combats meurtriers à l'arme lourde entre les FDS et le FN. Emmenées par un des proches et fidèles serviteurs du régime et non moins chef des «patriotes» pro-Gbagbo, des milliers de personnes, majoritairement des jeunes, se sont en fait rassemblées autour du palais présidentiel pour exprimer leur soutien au président sortant. «Avant d'attaquer Laurent Gbagbo, vous allez (devoir) égorger tout ce monde-là», a lancé Charles Blé Goudé, le chef des «patriotes» pro-Gbagbo, à l'adresse de la communauté internationale. «Il n'y aura pas de guerre civile», a-t-il ajouté, s'en prenant au président français Nicolas Sarkozy, au président américain Barack Obama, à l'ONU et à la Communauté économique des Etats d'Afrique de l'Ouest (Cedeao) dont la Côte d'Ivoire est membre. Le développement de la situation en Côte d'Ivoire indique à quel point il est difficile pour la communauté internationale d'agir pour éviter à ce pays et à toute la sous-région de l'Afrique de l'Ouest une redoutable crise humanitaire qui pointe à l'horizon. En Libye, l'équation est tellement simple que beaucoup ont approuvé l'intervention militaire étrangère contre le tyran de Tripoli Mouammar Kadhafi qui veut décimer son peuple. En Côte d'Ivoire, ce sont deux présidents, soutenus par deux factions des forces armées et une population divisée en deux, qui se sont battus politiquement avant d'user du langage des armes comme «ultime» recours pour régner en maître des lieux. L. M.