La Côte d'Ivoire est à la croisée des chemins. Après trois mois de crise politique, les partisans du président sortant Laurent Gbagbo et ceux d'Alassane Ouattara, reconnu nouveau président du pays par la communauté internationale, sont passés à l'action armée qui a semé la terreur au sein de la population ivoirienne. Les Forces de défense et de sécurité (FDS), fidèles à M. Gbagbo, et les ex-rebelles des Forces nouvelles (FN), proches de M. Ouattara, se livrent, depuis la mi-février, une bataille armée d'une rare violence pour le contrôle des villes et des secteurs économiques stratégiques. Ces affrontements armés ont causé la mort de presque quatre cents personnes, en majorité des civils, dont des femmes. Par ailleurs, aucun bilan officiel sur le nombre de blessés n'est encore disponible, tandis que le nombre de déplacés est estimé à près de quatre cent mille, dont deux cent mille vivaient dans des quartiers pro-Ouattara de la capitale Abidjan. D'autres déplacés (près de cent mille) sont de l'autre côté de la frontière ivoirienne, dans les camps pour réfugiés qui ont été installés sur le territoire du Liberia par le Haut-Commissariat aux réfugiés (HCR) de l'Organisation des Nations unies (ONU). Reconnu par le Conseil constitutionnel comme vainqueur de la présidentielle du 28 novembre 2010, le président sortant Laurent Gbagbo, en poste depuis le 26 octobre 2000, refuse de céder sa place à son rival Alassane Ouattara que la Commission de surveillance indépendante a déclaré gagnant de ce scrutin, reporté depuis 2005. Laurent Gbagbo est en fait accusé de vouloir se maintenir au pouvoir à tout prix, ce qui l'a donc amené à reporter ce rendez-vous électoral à maintes reprises depuis cinq ans. Le scrutin de 2010 était en fait l'occasion de redistribuer les cartes qui ont permis à Alassane Ouattara d'accéder au trône. Mais cette victoire a été de courte durée puisque le président sortant a ouvertement affiché sa volonté de demeurer au pouvoir quitte à mettre le pays à feu et à sang. L'Union africaine a mené, depuis novembre dernier, de nombreuses tentatives de médiation qui se sont toutes soldéespar un cuisant échec. Campés sur leurs positions, les deux camps ont même refusé un partage du pouvoir, une solution prônée par l'UA qui mène la médiation sous l'égide des Nations unies. Pis, les deux camps ont rejeté l'idée de l'organisation d'une nouvelle élection, préférant user de la force des armes pour régler un contentieux d'ordre politique. Mais qu'y a-t-il derrière cette inflexibilité des deux camps ? Entre Ouattara et Gbagbo, une vieille rancune Si l'on fouille un peu dans les archives de l'histoire contemporaine ivoirienne, on constatera que le conflit actuel entre les deux hommes politiques, en l'occurrence Alassane Ouattara et Laurent Gbagbo, remonte à une vingtaine d'années. A l'époque, Alassane Ouattara occupait le poste de Premier ministre, alors que Laurent Gbagbo était le président du Front populaire ivoirien (FPI). Le 18 février 1992, le FPI a appelé à une marche populaire pour dénoncer l'impunité dont avaient bénéficié des soldats ivoiriens, coupables de viol sur des étudiantes à la suite d'une sauvage descente dans une résidence universitaire à Abidjan. Mais cette marche a été violemment réprimée par Alassane Ouattara qui ordonna l'arrestation de M. Gbagbo et de son épouse, ainsi que d'autres responsables du FPI. M. Gbagbo est condamné à deux ans de prison, mais il sera libéré six mois plus tard. A la mort du président Houphouët-Boigny, en 1995, remplacé par Henri Konan Bédié, alors président de l'Assemblée nationale et «successeur constitutionnel» du défunt président, Alassane Ouattara quitte le pays pour occuper le poste de directeur général adjoint du Fonds monétaire international (FMI). Il ne rentrera en Côte d'Ivoire qu'en 1999 pour subir une véritable humiliation à la présidentielle du 22 octobre 2000. Installé au poste de président du Rassemblement des Républicains (RDR), M. Ouattara s'est vu refuser sa candidature à cette élection en raison, entre autres, de sa «nationalité douteuse». L'ancien Premier ministre sous la présidence de Houphouët-Boigny a été accusé par les partisans de M. Bédié d'être un citoyen burkinabé. Les autorités ivoiriennes sont allées jusqu'à délivrer un mandat d'arrêt contre Alassane Ouattara à cause de cette histoire de nationalité. Ouattara et Bédié sont éliminés de la course à la magistrature suprême au bout de laquelle c'est Laurent Gbagbo qui accéda au pouvoir. Depuis 2000, la Côte d'Ivoire s'est retrouvée confrontée à une véritable instabilité politique, marquée par le déclenchement de plusieurs rébellions qui se sont soldées par des centaines de morts et des accords de paix constamment bafoués par un des camps en conflit. C'est dans ces conflits que Laurent Gbagbo va plus tard puiser des arguments pour reporter l'élection présidentielle de 2005, date qui a marqué la fin de son mandat présidentiel. Jusqu'à 2010, le pays est resté dans l'expectative de la tenue d'un scrutin qui permettrait la normalisation de la situation. Les Ivoiriens ignoraient que la présidentielle de novembre allait ouvrir la voie à toutes les incertitudes et replonger le pays dans un début de guerre civile. Alors que la communauté internationale, dont les forces de maintien de la paix assurent, entre autres, la sécurité d'Alassane Ouattara, n'envisage aucune intervention militaire pour le moment, c'est à l'Union africaine qu'échoit la mission de trouver une solution négociée à cette crise, qui entamera, dans quelques jours, son quatrième mois. Mais la mission n'est pas de tout repos, voire impossible si l'on en croit les plus pessimistes des Ivoiriens qui accusent les deux camps d'être à la solde de l'étranger. L. M.