L'ambassadeur français en Algérie n'a pas que regretté, dans sa déclaration à Constantine, l'absence de l'Algérie à la conférence de Londres sur l'«avenir» de la Libye. Il a surtout fait à notre gouvernement le reproche d'une distance qu'il paiera un jour ou l'autre. Les Etats-Unis et les Français ont pris l'habitude de commenter en instantané les mesures du pouvoir algérien. En énonçant des appréciations «positives» dans le style «c'est un pas dans la bonne direction ; maintenant il faut faire plus», ils se donnaient ipso facto le droit d'énoncer des remarques négatives comme cet «avertissement» français sur notre absence à Londres. Quand nos dirigeants nous exhibaient fièrement les satisfecit reçus de l'étranger pour leur zèle à se conformer aux «conseils» du néolibéralisme prodigués par toutes les grandes puissances, par l'UE, par les Etats-Unis ou par leurs institutions financières et commerciales, ils préparaient eux-mêmes les Algériens à considérer comme «normales» et comme «naturelles» ces véritables ingérences. Ils nous ont préparés psychologiquement à transiger sur les principes, à accepter le flou dans le droit de regard. Ils nous ont habitués à oublier que, selon les principes du droit international et selon les «valeurs démocratiques», les Algériens, et les Algériens seuls, avaient le droit de juger de l'action de leurs gouvernants. Sur cette longue période de 30 ans, la «restructuration» industrielle ramena nos grands groupes devenus performants et innovateurs – Sonacome, Sonitex, SNS, Sonelec, Sonipec, Sonatiba, DNC-ANP, etc. - aux dimensions d'entreprises départementales puis les réformes leur donnèrent le coup de grâce en cassant l'ensemble du secteur public et réaliseront le désarmement industriel de l'Algérie. Il s'agit bien de désarmement industriel car ces réformes cassèrent également le secteur privé notamment dans le textile et dans les cuirs et peaux pour ce qui est des manufactures qui prospérèrent à l'ombre de la protection douanière de la production nationale. Le Think Tank ultra libéral – quel grand mot – qui vient aujourd'hui nous parler de sauver l'entreprise oublie que les entreprises algériennes concrètes et réelles, publiques et privées ont été sabordées par ces réformes et par ces orientations toutes formulées par les institutions étrangères même si des cadres algériens les ont adoptées par réflexe du colonisé et pour s'extraire de l'indigénat et se bercer de l'illusion qu'ils pensent «mondial» et non local. S'ils prenaient le temps de lire quelques auteurs africains, ils s'apercevraient combien les recettes uniformes qu'ils appliquent à nos économies s'accompagnent des mêmes recettes politiques – flatteries, jeu sur les ego, etc. – et surtout des mêmes réflexes de bicots-nègres qui veulent devenir plus blancs que les Blancs, plus libéraux que les ultra-libéraux, plus mondialistes que le capital financier et complètement envoûtés par leur tout nouveau «statut» d'experts auprès des institutions internationales dont les contrats d'expertise concédés à nos indigènes sont, dans la réalité, le test permanent de leur coulée dans le moule de la pensée impérialiste avec le bénéfice d'un avis extérieur régurgité par des indigènes. L'argent donné aux ONG et aux experts locaux qu'on nous présente comme des aides à l'expertise et à la naissance de la société civile est en réalité l'argent de la corruption des élites et nous ne connaissons pas encore de coopération avec les grandes puissances qui n'ait pas débouché sur cette corruption. C'est le caractère antipopulaire, voire antinational pour certaines et pour certains accords, qui poussait les gouvernants à opposer au scepticisme ou à la colère du peuple les satisfecit des étrangers dans une sorte de promesse magique : «Vous voyez, les étrangers, ceux qui savent pour nous, sont satisfaits.» Nous ne pouvons pas logiquement être mécontents quand eux sont satisfaits. Cela rappelle la satire du grand Rachid Ksentini qui raillait dans un fameux sketch l'Arabe benêt satisfait du «toi bono» que lui distribuait le petit colon blanc.Ce long travail de sape des principes simplissimes de souveraineté nationale a contribué à ruiner le sentiment national. Et c'est le plus visible dans la presse dont beaucoup de titres se prévalent de la position des Français et des Américains pour prédire le pire au pouvoir et pour lui annoncer sa chute s'il ne revient pas sur ses décisions économiques et ne cède pas au clan de l'huile et du sucre. Cette érosion du sentiment national est telle que cet appel constant à l'ingérence ne produit plus de réaction et encore moins d'indignation. Il y a longtemps que les ambassades étrangères ont relevé ce trait de la conduite politique dans le pays. Et l'ambassadeur de France le sait lui plus que tout autre. Et il sait parfaitement quels sont les usages diplomatiques mais il sait aussi ce qu'est le rapport de force sur le terrain. Avant même que les Etats-Unis et leurs sous-traitants franco-anglais ne fomentent la sédition libyenne en nous construisant l'immense montage-bidon d'une manifestation pacifique, le gouvernement Sarkozy avait reconnu son «CNT» algérien sous la forme d'un gouvernement kabyle dont le dirigeant avait été pompeusement reçu au Sénat et moins pompeusement aux Affaires étrangères. On rétorquera que Ferhat Mehenni n'est qu'un bouffon sans implantation sérieuse en Algérie. Peut-être. Mais ceux qui l'ont reçu ne sont pas des bouffons, loin de là. Ils ont un Etat et des institutions, une continuité de la politique étrangère – africaine par exemple - d'une remarquable continuité. Et quand Kouchner parle du départ de la génération de l'indépendance – comprendre celle de Novembre – vous pouvez être sûrs qu'il s'agit d'une pensée de toutes les institutions françaises et de celle de plus haut responsable - Guéant dont on découvre l'abîme de son racisme, Buisson l'ancien de Minute et fan des légionnaires et des paras, etc. Gérard Longuet, fondateur dans les années 1960 d'une officine politique considérée alors comme fasciste : «Occident», activiste de «l'Algérie française», revenu au gouvernement voici quelques semaines comme ministre de la Défense et des Anciens combattants. Quand les paras revenant d'Indochine débarquèrent à Alger, ils avaient soif de «casser du fellagha» pour laver l'affront vietnamien, défendre les valeurs de l'Occident et maintenir la grandeur de la France mesurée à l'aune de la grandeur de son armée coloniale ou «Coloniale». Ces anciens de l'Algérie française et amis de l'OAS tiennent maintenant leur revanche sur nos aînés maquisards et sur tous nos aînés africains. Cette «Algérie française» triomphante à l'Elysée, sent son heure venir, celle d'annuler tous les résultats des guerres ou des luttes de libération nationale. Elle compte s'appuyer sur cette troisième force que la politique coloniale avait anéantie mais que les réformes libérales leur offrent sur un plateau d'argent. Tout laisse deviner que le cinquantenaire du 5 Juillet 1962 est une date butoir pour la concrétisation de cette remise en cause et ce n'est pas non plus un hasard si l'aviation française bombarde la Libye un 19 mars. Vous retrouverez la même idée dite peut-être avec des formes moins brutales comme celle de l'amiral du corps de réserve Jean Dufourcq analysant les problèmes du monde arabe : «S'il y a un problème spécifique des sociétés arabes, c'est bien celui des relèves de générations politiques… » C'est bien dit non ? On a même envie de renchérir : «Oui, oui, à bas les vieux ! Y'en a marre de ces vieillards qui tiennent la barre depuis si longtemps !» Ici même, en Algérie, des partis politiques surfent sur cette idée comme si un jeune ultra-libéral proposait une autre politique qu'un vieil ultra-libéral. L'emballage à part. Mais l'emballage vend le produit ! Par le rôle des médias, nous vivons dans l'enfouissement de l'oubli. Cette vieille recette, car elle est très vieille, de promettre aux jeunes le monde neuf de leurs rêves a été utilisée jusqu'à l'usure avec les révolutions de couleurs et de fruits dans les pays de l'Est. L'impatience des jeunes, leur soif de vivre et vite, leur désir de construire leur monde dans la projection de leurs rêves, leur envie de vivre la démocratie ont été utilisés contre leurs rêves, leurs envies, leurs désirs et contre les libertés démocratiques qui sont la seule réalité de l'intervention des peuples et des citoyens dans la vie publique. On leur a ramené le plus vieux système du monde, celui de l'exploitation élevé à un rang inégalé de sophistication. Quelle influence ont-ils aujourd'hui sur leur destin, sur leur vie, sur leurs désirs ? On veut ainsi faire avec notre jeunesse et utiliser son exaspération pour enfoncer encore plus le pays dans la dépendance. L'Algérie a mollement protesté contre les propos de l'ambassadeur. Un haut fonctionnaire des AE a répondu à une question de journaliste pour souligner le dérapage de l'ambassadeur. Cela ne vaut pas un communiqué officiel et la protestation manque de vigueur.Le retour néocolonial est-il un fantasme ? Quand on voit, cinquante ans après les indépendances, une conférence de Londres se réunir pour décider du sort d'un pays et envisager froidement l'hypothèse de sa partition, la réponse est : non, ce n'est pas un fantasme. Quand on voit les troupes françaises ouvrir la voie et assister les bandes armées de Ouattara dans leur déplacement vers Abidjan, occuper l'aéroport, préparer le terrain aux milices en bombardant les troupes loyalistes, la réponse est : non, l'intervention néocoloniale n'est pas un fantasme. Le danger est aujourd'hui infiniment supérieur à ce qu'on croit. Le sentiment national de notre opinion publique est émoussé ici. Il doit l'être partout dans les pays anciennement colonisés, les mêmes causes produisant les mêmes effets. Les opinions publiques européennes se sont convaincues de leur vocation «démocratisante» comme elles s'étaient convaincues hier de leurs missions civilisatrices. L'hégémonie idéologique et médiatique des grandes puissances néo-colonisatrices est totale et leurs méga-mensonges passent comme une lettre à la poste, nous posant un sérieux problème de compréhension de l'oubli systématique des mensonges précédents pourtant reconnus comme mensonges. Le Soudan est partagé. Les conférenciers de Londres envisagent froidement la partition de la Libye. En Côte d'Ivoire, on compte les bulletins de vote en alignant les cadavres des Ivoiriens. Va-t-on croire à une Algérie hors de menace avec son pétrole et tout ce que se permettent nos «partenaires étrangers» comme ingérence directe et grossière ? La réponse se trouve en grande partie chez le même amiral et dans son appréciation que le cas libyen fait jurisprudence pour faciliter toute intervention ultérieure. «Le devoir de protéger une population contre le dirigeant qui l'agresse par des moyens militaires dispose désormais avec la résolution 1973 d'un cas d'école. Bien peu auraient misé il y a un mois sur ce scénario, après les révoltes tunisienne et égyptienne. Il sera demain d'application plus facile et le précédent libyen sera opposable aux oppresseurs des libertés publiques qui utiliseront des moyens militaires. Laissez-moi penser que, dans la démarche des premiers pays engagés dans la volonté de cessez-le-feu immédiat, il y avait d'abord la question humanitaire qui les taraudait, plus que d'autres, la renaissance arabe qui les préoccupait, de façon majeure, la démocratisation des sociétés arabo-musulmanes qu'ils espéraient, rappelons-nous l'entreprise du Grand-Moyen Orient de la décennie précédente. Il y avait aussi la propagation d'une crise de modernité sociopolitique qui appelait de nouvelles solidarités régionales… Il y avait enfin, bien sûr, pour les compagnies majeures investies dans la production d'hydrocarbures un impératif catégorique d'action que les Etats concernés n'ignoraient pas. Je vous laisse adapter ce cocktail à chacun des pays de la coalition pour ce qui le concerne.»C'est le triomphe du droit d'ingérence. Qu'exprime d'autre l'ambassadeur de France ? M. B.