Egypte, Tunisie, Yémen, des républiques arabes qui se dirigeaient quasi imperturbablement, il y a quelque temps, vers un «transfert» du pouvoir vers le fils, voire le gendre, ont subi un véritable séisme politique. Entre la chute dans des conditions inimaginables et des bouleversements internes changeant le rapport de force, la conséquence est patente. La transmission du pouvoir par filiation dans les républiques arabes aura vécu. La crise, qui déchire actuellement la Libye, tire pour beaucoup son essence de la mainmise quasi généralisé sur le pays de la progéniture du guide de la révolution Khadafi. Les hauts responsables libyens, dont de nombreux ambassadeurs qui ont fait défection un peu partout à travers le monde au début de l'insurrection populaire, ont déploré le rôle «dominant» des fils Khadafi dans la gestion du pays au nom de l'appartenance filiale. L'Egypte, pays d'importance dans le monde arabe, a vu monter la grogne populaire sur fond du refus de la transmission quasiment en cours du pouvoir du père vers le fils. La «dynastie» Moubarak vit d'ailleurs de plus en plus mal cette déchéance. Récemment, Alaa a eu une altercation avec son frère Gamal, lui imputant le désastre qui a touché la famille à cause de ses ambitions politiques démesurées et de ses manœuvres de pouvoir. Gamal Moubarak se comportait, en effet, il y a seulement quelques mois, comme le président de droit, nommait les ministres et choisissait les ambassadeurs. Il protégeait également ses amis dans le monde des affaires et contrôlait une armada médiatique particulièrement propagandiste. Cette situation faisait monter le mécontentement populaire, provoquant l'explosion sur la place Tahrir. Gamal Moubarak, 47 ans, a dû pourtant démissionner de la direction du Parti national démocrate PND de son père, dont il était le numéro deux, pour éventuellement absorber le mécontentement populaire, en vain. Mais les Egyptiens ne sont plus dupes. Bien que sa candidature n'ait pas été annoncée et que Hosni Moubarak se préparât à sa réélection, Gamal était prêt à succéder à son père. Pas très loin de là, le président yéménite Ali Abdallah Saleh, resté populaire depuis plus de vingt ans pour avoir notamment réalisé l'unité du Yémen, a succombé à la tentation. Ses malheurs ont commencé quand il était question de transférer le pouvoir à son fils Ahmed. Ce dernier était pourtant bien placé pour succéder à son père. Il était son émissaire dans plusieurs pays arabes. Général de brigade, il devient commandant de la Garde républicaine du pays. La mainmise des postes sécuritaires et militaires majeurs par les enfants, les frères et les beaux-frères de Ali Abdallah Salah ont précipité la situation vers un bras de fer au Yémen. Le président tunisien déchu, Zine El Abidine Ben Ali, a, pendant des années, régi le pays d'une main de fer. Son mariage avec Leïla Trabesli allait avec le temps précipiter son règne. La «régente de Carthage» et sa famille se comportaient, dans une Tunisie «exemple de stabilité» dans le monde arabe, en maîtres. Les frères pillaient les richesses du pays et s'apprêtaient même à hériter du pouvoir, Ben Ali n'ayant pas de garçon en âge de lui succéder. Cet aveuglement a accéléré la révolution du peuple tunisien. Le président Ben Ali avait d'ailleurs, lors de son discours à quelques heures de sa fuite, admis qu'il avait été trompé et induit en erreur par son entourage. Mais la reconnaissance n'a pas empêché la chute de son règne et la fin humiliante qui s'en est suivie. De son côté, le jeune président syrien Bachar Al-Assad, qui a pris les rênes du pouvoir à travers une succession organisée par le système, se retrouve aujourd'hui confronté à la même situation. Bachar était le deuxième choix de son père qui souhaitait voir son fils aîné, Bassel, lui succéder, mais celui-ci fut victime d'un accident de voiture en 1994, six ans avant la disparition du président syrien. Aujourd'hui, la famille et sa clientèle contrôlant les leviers de la sécurité et des affaires sont devenues un danger pour la pérennité du régime. La répression et l'humiliation des citoyens ont contribué de manière significative à l'alimentation du ressentiment populaire. La rue syrienne exige, désormais, des réformes politiques et la justice sociale. La Syrie, pays déjà sous pression permanente des Etats-Unis et d'Israël, se trouve dans l'obligation d'évoluer sur le plan interne pour être en adéquation avec ses positions de principe sur le plan international. La propension héréditaire avait déjà joué un mauvais tour à Saddam Hussein. Les deux fils de l'ancien président irakien, Ouday et Quosay, se comportaient en maîtres absolus dans un Irak prépondérant. Pour beaucoup d'historiens de l'Irak, parmi les causes de la chute de Baghdad avec un minimum de résistance est le fait que Qusay ait pris le commandement des forces chargées de défendre la cité contre l'invasion. Une humiliation pour de nombreux officiers supérieurs irakiens. Confier le commandement à un jeune au détriment de militaires chevronnés, ayant fait la terrible guerre contre l'Iran pour «préserver l'identité arabe de l'Irak», a suffi à démobiliser les troupes. Au Liban voisin, dans un contexte plus démocratique, ou au moins pluraliste, Saad Hariri, Premier ministre jusqu'à récemment, a succédé à son père Rafic Hariri après l'assassinat de ce dernier en 2005. Même dans un pays à la configuration politique et ethnique particulière, Saad traînera l'image de «fils de…» qui le desservit dans son bras de fer avec ses adversaires politiques. La «malédiction de l'hérédité» frappant les régimes dictatoriaux arabes a participé indubitablement à ce «changement qualitatif» dans les mœurs du pouvoir. Des systèmes qui paraissaient à l'abri de grands bouleversements démocratiques, en raison d'un contrôle hégémonique de l'appareil de sécurité et des médias, sont déchus ou en voie de l'être. Paradoxalement, les velléités héréditaires ont servi la volonté d'émancipation des peuples arabes. M. B.